Il apparaît de la plus haute convenance que par les choses visibles soient manifestés les attributs invisibles de Dieu. Mais c’est par le mystère de l’Incarnation que nous sont manifestées à la fois la bonté, la sagesse, la justice et la puissance de Dieu :
• Sa bonté, car Il n’a pas méprisé la faiblesse de notre chair ;
• Sa justice car, l’homme ayant été vaincu par le tyran du monde, Dieu a voulu que ce tyran soit vaincu à son tour par l’homme lui-même, et c’est en respectant notre liberté qu’Il nous a arrachés à la mort ;
• Sa sagesse, car, à la situation la plus difficile, Il a su donner la solution la plus adaptée ;
• Sa puissance infinie, car rien n’est plus grand que ceci : Dieu Qui se fait homme.
Or la nature même de Dieu, c’est l’essence de la bonté. Aussi tout ce qui ressortit à la raison de bien convient à Dieu.
• Or, il appartient à la raison de bien qu’il se communique à autrui comme le montre Denys.
• Aussi appartient-il à la raison du Souverain Bien qu’Il Se communique souverainement à la créature.
• Et cette souveraine communication se réalise quand Dieu « S’unit à la nature créée de façon à ne former qu’une seule personne de ces trois réalités : le Verbe, l’âme et la chair », selon S. Augustin.
La convenance de l’Incarnation apparaît donc à l’évidence. Le mystère de l’Incarnation ne s’est pas accompli du fait que Dieu aurait changé de quelque manière l’état dans lequel Il existe de toute éternité, mais du fait qu’Il S’est uni à la créature, ou plutôt qu’Il Se l’est unie, de façon nouvelle. Être unie à Dieu dans la personne ne convenait pas à la chair de l’homme selon la condition de sa nature, car cela était au-dessus de sa dignité. Cependant il convenait à Dieu, selon la transcendance infinie de Sa bonté, de S’unir la chair pour le salut de l’homme.
Toutes les conditions qui rendent la créature différente du Créateur ont été instituées par la sagesse de Dieu et ordonnées à Sa bonté. En effet, c’est par bonté que Dieu, immobile et incorporel, produit des créatures changeantes et corporelles ; de même, le mal de peine a été introduit par la justice de Dieu en vue de la gloire de Dieu, tandis que le mal de faute est commis par éloignement du plan de la sagesse Divine, et de l’ordre de la bonté Divine. Et c’est pourquoi il a pu être convenable que Dieu assume une nature créée, changeante, corporelle et soumise au châtiment ; mais il n’aurait pas été convenable qu’Il assume le mal du péché. Dieu n’est pas grand par la masse, mais par la puissance. Si la parole de l’homme, en se propageant, est entendue tout entière et en même temps par beaucoup et par chacun, il n’est pas incroyable que le Verbe de Dieu, Qui est éternel, soit tout entier partout à la fois.
Dieu est plus enclin à faire miséricorde qu’à punir. Dieu, par Sa vertu toute-puissante, aurait pu restaurer notre nature de bien d’autres manières. Dieu, à la puissance de Qui tout est également soumis, avait la possibilité d’employer un autre moyen, mais qu’il n’y en a eu aucun plus adapté à notre misère et à notre guérison.
Et on peut l’envisager au point de vue de notre progrès dans le bien.
• Notre foi devient plus assurée, du fait que l’on croit Dieu Qui nous parle en personne. Selon S. Augustin : « Pour que l’homme marche avec plus de confiance vers la vérité, la Vérité en personne, le Fils de Dieu, en assumant l’humanité, a constitué et fondé la foi. »
• L’espérance est par là soulevée au maximum. Selon S. Augustin : « Rien n’était aussi nécessaire pour relever notre espérance que de nous montrer combien Dieu nous aimait. Quel signe plus évident pouvons-nous en avoir que l’union du Fils de Dieu à notre nature ? »
• Notre charité est réveillée au maximum par ce mystère, et S. Augustin dit ailleurs : « Quel plus grand motif y a-t-il de la venue du Seigneur que de nous montrer Son amour pour nous ? »
• L’Incarnation nous donne un modèle de vie, par l’exemple que Jésus a présenté. C’est donc pour donner à l’homme un modèle visible par l’homme et que l’homme pouvait suivre, que Dieu S’est fait homme.
• L’Incarnation est nécessaire à la pleine participation de la Divinité qui est la béatitude véritable de l’homme et la fin de la vie humaine. Car S. Augustin l’a prêché : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
Pareillement, l’Incarnation était utile pour nous éloigner du mal.
• Par ce mystère l’homme apprend à n’avoir ni préférence ni respect pour le démon qui est l’auteur du péché. S. Augustin dit à ce sujet : « Si la nature humaine a été unie à Dieu au point de devenir une seule personne, que ces esprits mauvais et orgueilleux n’osent plus se préférer à l’homme sous prétexte qu’ils n’ont pas de chair.”
• 2° Par ce mystère nous découvrons toute la dignité de la nature humaine, et qu’il ne faut pas la souiller par le péché. S. Léon dit aussi : « Chrétien, reconnais ta dignité et, après avoir été uni à la nature Divine, ne va pas, par une conduite honteuse, retourner à ton ancienne bassesse. »
• 3° Pour détruire la présomption de l’homme, « la grâce de Dieu est mise en valeur pour nous, sans aucun mérite de notre part, chez le Christ homme”.
• 4° “L’orgueil de l’homme, qui est le plus grand obstacle à l’union avec Dieu, peut être réfuté et guéri par cette grande humilité de Dieu. »
• 5° L’Incarnation est utile pour délivrer l’homme de la servitude du péché. Cela, dit S. Augustin, « devait se faire de telle sorte que le diable fût vaincu par la justice de l’homme Jésus Christ ». Et cela s’est fait parce que le Christ a satisfait pour nous. Un simple homme ne pouvait pas satisfaire pour tout le genre humain ; et Dieu ne devait pas satisfaire ; il fallait donc que Jésus Christ fût à la fois Dieu et homme. C’est aussi l’affirmation de S. Léon : « La puissance assume la faiblesse, et la majesté la bassesse ; ainsi ce qui convenait à notre guérison, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes pouvait mourir d’une part, et ressusciter de l’autre. S’Il n’avait pas été vrai Dieu, Il n’aurait pas apporté le remède, s’Il n’avait pas été vrai homme, Il n’aurait pas offert un modèle. »
La satisfaction offerte par un simple homme ne pouvait pas être suffisante, parce que toute la nature humaine était désorganisée par le péché, et que le bien d’une personne, ou même de plusieurs, ne pouvait compenser d’une façon équivalente le désastre de toute une nature. En outre, le péché commis contre Dieu reçoit une certaine infinité en raison de l’infinie majesté Divine ; car l’offense est d’autant plus grave que l’offensé est de plus haut rang. Ainsi fallait-il, pour une satisfaction adéquate, que l’acte de celle-ci ait une efficacité infinie, comme venant de l’homme-Dieu.
Mais on peut parler aussi d’une satisfaction qui soit suffisante, mais imparfaitement, parce qu’elle est acceptée, malgré sa faiblesse, par Celui qui veut bien s’en contenter. En ce sens la satisfaction offerte par un simple homme est suffisante. Et parce que l’imparfait suppose toujours une réalité parfaite qui le fonde, il s’ensuit que la satisfaction de tout homme ordinaire tient son efficacité de la satisfaction du Christ.
C’est seulement dans l’œuvre de l’Incarnation que se manifeste principalement l’effet infini de la puissance Divine, puisqu’elle unit deux êtres infiniment éloignés l’un de l’autre, en tant qu’elle réalise l’hominisation de Dieu.
S. Augustin affirme : « Donc, si l’homme n’avait pas péché, le Fils de l’homme ne serait pas venu. » Et sur cette parole (1 Tm 1, 5) : « Le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs”, la Glose affirme : « Il n’y a pas d’autre motif à la venue du Christ Seigneur que le salut des pécheurs. Supprimez la maladie, supprimez les blessures, et il n’y a pas de motif pour recourir aux remèdes. » Aussi, puisque dans la Sainte Écriture le motif de l’Incarnation est toujours attribué au péché du premier homme, on dit avec plus de justesse que l’oeuvre de l’Incarnation est ordonnée à remédier au péché, à tel point que si le péché n’avait eu lieu, il n’y aurait pas eu l’Incarnation. Cependant la puissance de Dieu ne se limite pas à cela, car Il aurait pu S’incarner même en l’absence du péché.
Car si l’homme n’avait pas péché, il aurait été inondé par la lumière de la sagesse Divine, et Dieu lui aurait donné la perfection de la justice pour tout ce qu’il avait besoin de connaître et de faire. Mais parce que l’homme, en abandonnant Dieu, s’était effondré au niveau des réalités corporelles, il convenait que Dieu, en S’incarnant, lui apporte le remède du salut par des moyens corporels. C’est pourquoi, sur la parole de Jean (1, 14) : « Le Verbe s’est fait chair », S. Augustin affirme : « La chair t’avait aveuglé, la chair te guérit ; car le Christ est venu pour éteindre par la chair les passions de la chair. » Mais rien n’empêche que la nature humaine ait été élevée à un niveau supérieur après le péché ; car Dieu permet le mal pour en tirer un plus grand bien. Comme dit S. Paul (Rm 5, 20) : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » Et l’on chante dans la bénédiction du cierge pascal : « Heureuse faute, qui nous valut d’avoir un si grand Rédempteur ! »
Il est certain que le Christ est venu en ce monde pour effacer non seulement le péché qui s’est transmis par origine à la postérité, mais encore tous les péchés qui s’y sont ajoutés par la suite. Le Christ, Lui, a offert une satisfaction suffisante pour tous les péchés. Mais si le Christ est venu principalement pour détruire un péché, c’est dans la mesure où ce péché est le plus important.
Or quelque chose est plus important de deux façons :
• Ce peut être en intensité, comme on appelle plus grande la blancheur la plus intense. De ce point de vue, le péché actuel est plus grand que le péché originel, parce que la raison de volontaire s’y réalise davantage.
• D’un autre point de vue, quelque chose est plus grand en extension, comme on parle d’une blancheur plus grande parce qu’elle est plus étendue. Et de cette façon le péché originel, qui atteint le genre humain tout entier, est plus grand que le péché actuel, propre à une personne individuelle. Et à cet égard, le Christ est venu principalement pour enlever le péché originel, en tant que, selon Aristote « le bien de la nation est plus Divin et plus éminent que le bien d’un seul ».
C’est pourquoi il n’est pas exclu que le Christ soit venu principalement pour abolir le péché de toute l’humanité plus que celui de l’individu. Mais ce péché de nature a été guéri aussi parfaitement en chacun que s’il avait été guéri chez un seul. Aussi, à cause de l’union réalisée par la charité, tout ce qui a été prodigué à tous, chacun peut le prendre en compte pour soi-même.
Paul écrit (Ga 4, 4) : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme. » Or Dieu a tout fixé dans Sa sagesse. C’est donc au temps le plus opportun qu’Il S’est incarné. Et ainsi ne convenait-il pas qu’Il se Soit incarné au commencement du monde.
Puisque l’oeuvre de l’Incarnation est ordonnée de façon primordiale à la restauration de la nature humaine par l’abolition du péché, il est évident que l’Incarnation de Dieu dès le commencement du genre humain, avant le péché, n’aurait pas eu de motif, car on ne donne de remède qu’à celui qui est déjà malade, selon cette parole du Seigneur (Mt 9, 12) : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Car Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »
Mais il ne convenait pas non plus que Dieu S’incarne aussitôt après le péché.
• A cause de la condition du péché de l’homme, fruit de l’orgueil : il fallait que l’homme soit libéré après s’être humilié pour reconnaître son besoin d’un libérateur. C’est par une haute prudence qu’après la chute de l’homme, le Fils de Dieu n’a pas été envoyé aussitôt. En effet, Dieu a d’abord laissé l’homme à son libre arbitre, afin de lui faire connaître ainsi les forces de sa nature. Puis, à cause de son incapacité, l’homme reçut la loi. Ensuite sa maladie s’aggrava, non par la faute de la loi, mais par celle de sa nature viciée ; ainsi, connaissant sa faiblesse, il appellerait le médecin et rechercherait le secours de la grâce.
• La progression dans le bien exige que l’on aille de l’imparfait au parfait, selon S. Paul (1 Co 15, 46) : « Ce n’est pas l’être spirituel qui paraît d’abord, c’est l’être naturel ; le spirituel ne vient qu’ensuite. Le premier homme, qui vient de la terre, est terrestre, le second homme, qui vient du ciel, est céleste. »
• Ce délai convenait à la dignité du Verbe incarné car, à propos du texte des Galates. « Quand vint la plénitude des temps », la Glose explique : « Plus le juge à venir était éminent, plus devait être longue la suite des hérauts qui l’annonçaient. »
• Il ne fallait pas que la ferveur de la foi s’attiédisse au cours d’une trop longue durée. Car il est écrit (Mt 24, 12) : « La charité de beaucoup se refroidira”, et (Lc 18, 8) : « Quand le Fils de l’Homme viendra, croyez-vous qu’il trouvera encore la foi sur la terre ? »
Dieu n’a pas proposé dès le début le remède de l’Incarnation, pour éviter que l’homme ne le méprise par orgueil, s’il n’avait pas commencé par prendre conscience de sa faiblesse. Dieu prévoit en effet quels sont ceux qui croiraient à Ses miracles s’ils en étaient témoins ; Il vient en aide aux uns parce qu’il le veut ; Il ne vient pas en aide aux autres parce que dans Sa prédestination, cachée mais juste, Il en a jugé autrement. Croyons donc sans hésiter à Sa miséricorde envers ceux qu’Il sauve, et à Sa justice envers ceux qu’Il punit.
Le mystère de l’Incarnation, qui devait révéler le Christ au monde ne devait donc pas être retardé jusqu’à la fin du monde. Comme il ne convenait pas que l’Incarnation se produise dès le commencement du monde, de même ne convenait-il pas qu’elle soit retardée jusqu’à la fin du monde.
• Dans l’Incarnation la nature humaine est portée au degré suprême d’excellence ; c’est pourquoi il ne convenait pas que l’Incarnation se produise dès le commencement du genre humain. Mais d’autre part, le Verbe incarné est cause efficiente de perfection humaine, puisque “nous avons tous reçu de Sa plénitude » (Jn 1, 16). Et c’est pourquoi l’Incarnation ne devait pas être retardée jusqu’à la fin du monde. Ce qui se produira alors, ce sera la consommation de la gloire à laquelle le Verbe incarné doit conduire la nature humaine.
• Le Christ est venu quand Il a su qu’Il devait nous secourir et que Son bienfait serait bien accueilli. En effet, lorsque, par une certaine langueur du genre humain, la connaissance de Dieu commençait à s’effacer et les mœurs à se dégrader, Dieu daigna élire Abraham pour rénover en lui la connaissance de Dieu et la conscience morale. Puis, comme le respect avait encore diminué, Dieu donna par Moïse le texte de la loi. Parce que les païens le méprisèrent et refusèrent de s’y soumettre, et parce que ceux qui l’avaient reçu ne l’observèrent pas, le Seigneur, mû par Sa miséricorde, envoya Son Fils pour que Celui-ci, après avoir donné à tous la rémission de leurs péchés, puisse offrir à Dieu le Père les hommes justifiés. » Mais si ce remède avait été retardé jusqu’à la fin du monde, la connaissance et le culte de Dieu, comme l’honnêteté des mœurs, auraient totalement disparu sur la terre.
• Ce retard n’était pas compatible avec la manifestation de la puissance Divine, qui sauve l’homme de multiples façons : non seulement par la foi au Christ à venir, mais encore par la foi au Christ présent, et au Christ déjà venu.
Chrysostome déclare. « Il y a deux avènements du Christ : le premier pour qu’Il remette les péchés, le second pour qu’Il juge le monde. S’Il n’avait pas fait cela, tous les hommes auraient été perdus ensemble, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » Il est donc évident que l’avènement de la miséricorde ne devait pas être retardé jusqu’à la fin du monde.
Définition du concile de Chalcédoine : « Nous confessons la venue à la fin des temps du Fils de Dieu, unique engendré, que nous devons reconnaître en deux natures sans mélange, sans changement, sans division ni séparation, sans que l’union ait supprimé la différence de natures. » Donc l’union ne s’est pas faite dans la nature. C’est donc ainsi que nous parlons de la nature, selon qu’elle signifie l’essence, ou la quiddité de l’espèce. Selon Boèce, « la personne est la substance individuelle d’une nature rationnelle ».
Actes du concile de Chalcédoine : « Nous confessons un seul et même Fils unique, Dieu le Verbe, notre Seigneur Jésus Christ, Qui n’est ni partagé ni divisé en deux personnes. »
Donc l’union du Verbe s’est faite dans la personne.
Dans le Seigneur Jésus Christ nous reconnaissons deux natures, mais une seule hypostase, composée de l’une et de l’autre. Le Fils de Dieu n’a pas pu S’unir la nature humaine telle qu’elle se trouve dans tous les individus de l’espèce, autrement Il Se serait uni à tous les hommes. L’union dont nous parlons n’est pas réelle en Dieu, mais seulement de raison, tandis qu’elle est réelle dans la nature humaine, puisque celle-ci est une créature. Et c’est pourquoi l’on doit dire qu’elle est quelque chose de créé. On ne peut pas dire que la nature Divine est assumée par la nature humaine ; le contraire seul est vrai ; car la nature humaine s’est jointe à la personnalité Divine de manière que la personne Divine subsiste dans la nature humaine.
Le Fils est uni au Père par l’unité de leur essence, l’homme est uni au Fils par l’union de l’Incarnation. Donc l’union de l’Incarnation est plus parfaite que l’unité de l’essence Divine. L’union de l’Incarnation l’emporte sur toutes les autres unions, car l’unité de la personne Divine, en laquelle sont unies les deux natures, est la plus grande qui soit. L’union de l’Incarnation l’emporte sur l’union de l’âme et du corps. L’homme est dans le Fils plus que le Fils n’est dans le Père. Cette grâce qui fait de tout homme un chrétien dès qu’il a commencé à croire, c’est la grâce qui a fait de cet homme le Christ, dès qu’Il a commencé d’être. Mais cet homme est devenu le Christ par son union à la nature Divine. Donc cette union a été réalisée par la grâce.
La grâce, considérée comme un accident, est une certaine ressemblance de la Divinité, participée par l’homme. La Divinité est dite habiter corporellement dans le Christ parce qu’elle s’y trouve de trois manières, de même que le corps a trois dimensions.
Elle s’y trouve en effet :
• d’abord par essence, présence et puissance, comme chez toutes les créatures ;
• en outre, par la grâce sanctifiante, comme chez les saints ;
• enfin par l’union personnelle qui est propre au Christ.
Augustin écrit : « Dans l’assomption de la nature humaine par le Verbe, la grâce, qui rend cet homme impeccable, devient pour Lui en quelque sorte naturelle. » Donc la grâce du Christ, grâce d’union ou grâce habituelle, ne peut être dite naturelle au sens où elle serait causée par les principes de la nature humaine. Mais elle peut être dite naturelle en tant qu’elle provient, dans la nature humaine du Christ, de Sa propre nature Divine qui la cause. Et l’une comme l’autre grâce est naturelle chez le Christ en ce sens qu’Il la possède depuis Sa naissance ; car, dès le premier instant de Sa conception, la nature humaine fut unie à la personne Divine, et l’âme du Christ fut remplie du don de la grâce.
Bien que l’union ne se soit pas faite dans la nature, elle est cependant produite par la puissance de la nature Divine, laquelle est vraiment la nature du Christ. De plus elle appartient au Christ dès Sa naissance. Nous disons que cette grâce est naturelle, parce qu’elle provient dans l’humanité du Christ de la puissance de Sa nature Divine, et qu’Il la possède dès Sa naissance.
La grâce d’union n’est pas naturelle au Christ selon la nature humaine, comme si elle dérivait des principes de cette nature. Et c’est pourquoi il ne faut pas qu’elle convienne à tous les hommes. Elle lui est cependant naturelle sous ce rapport de la nature humaine, parce qu’elle Lui appartient dès Sa naissance : le Christ, parce qu’Il a été conçu du Saint-Esprit, fut à la fois par nature fils de Dieu et fils de l’homme. Mais la grâce d’union est naturelle au Christ sous le rapport de la nature Divine qui en est la cause. Il convient d’ailleurs à toute la Trinité d’être le principe actif de cette grâce.
Dans l’union de l’homme à Dieu par la grâce d’adoption, rien n’est ajouté à Dieu, mais le Divin est communiqué à l’homme, si bien que ce n’est pas Dieu, mais l’homme, qui en est perfectionné. Nous confessons, avec les bienheureux Athanase et Cyrille, que la nature Divine S’est incarnée. Tout ce qui est en Dieu est un, sauf la distinction des personnes. De même que la nature humaine dans le Christ est assumée par Dieu, de même les hommes sont assumés par Lui en vertu de la grâce. L’assomption qui se fait par la grâce d’adoption a pour terme une certaine participation de la nature Divine par assimilation à Sa bonté. Il ne faut pas trop pousser ces expressions, comme si elles étaient exactes. Mais il faut les expliquer avec délicatesse quand on les rencontre chez les saints Pères.
Comme dit S. Augustin : « Dieu pouvait prendre un homme ailleurs que dans la race d’Adam qui avait enchaîné le genre humain à son péché. Mais Il jugea qu’il valait mieux prendre, dans une race de vaincus, un homme qui deviendrait vainqueur de l’ennemi du genre humain. » Et cela pour trois raisons :
1° Il semble appartenir à la justice que celui qui a péché satisfasse.
2° Il est plus honorable pour l’homme que le vainqueur du diable sorte de la race vaincue par le diable.
3° La puissance de Dieu se trouve par là davantage manifestée puisqu’Il assume, dans une nature corrompue et faible, ce qui est élevé à une telle puissance et à une si haute dignité.
Le Christ devait être séparé des pécheurs sous le rapport de la faute qu’Il venait détruire, non sous le rapport de la nature qu’Il venait sauver. En outre, en assumant cette nature prise dans la masse humaine esclave du péché, Il a montré une innocence et une pureté d’autant plus admirables. Puisque le Christ devait absolument être séparé des pécheurs quant à la faute et atteindre le degré le plus élevé de pureté, il convenait qu’à partir du premier homme pécheur on parvienne au Christ en passant par quelques justes en qui brilleraient les marques de la sainteté future.
Les bons artisans ne sont pas seulement dignes d’admiration lorsqu’ils travaillent sur des matières précieuses ; ils le sont bien plus encore lorsque, avec de la boue grossière et de la terre détrempée, ils manifestent la vigueur de leur talent. C’est ainsi que l’Artisan suprême, le Verbe de Dieu, est venu à nous sans prendre la matière précieuse d’un corps céleste, mais a montré avec la boue d’un corps terrestre la magnificence de Son art. Le Christ est la parfaite sagesse, et ne mets pas en doute Sa très grande miséricorde ; en raison de Sa sagesse, Il n’a pas méprisé l’excellence de l’âme et son aptitude à la vertu ; à cause de Sa miséricorde, Il l’a prise et assumée, parce qu’elle était blessée davantage. L’âme est susceptible d’être assumée sous le rapport de la convenance uniquement parce qu’elle est capable de Dieu et faite à Son image. L’intelligence est de toutes les parties de l’âme la plus haute, la plus digne, la plus semblable à Dieu.
Le Christ avait la grâce habituelle. Il est nécessaire d’admettre la grâce habituelle dans le Christ, pour trois motifs.
• A cause de l’union de son âme avec le Verbe de Dieu. En effet, plus l’être qui reçoit est proche de la cause qui l’influence, plus il participe de celle-ci.
• À cause de la noblesse de cette âme : elle exigeait que celle-ci pût atteindre Dieu au plus près par ses activités de connaissance et d’amour, ce qui exige que la nature raisonnable soit surélevée par la grâce.
• À cause de la relation du Christ Lui-même avec le genre humain. En effet, le Christ en tant qu’homme est « le médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tm 2, 5). Et c’est pourquoi Il Lui fallait posséder aussi une grâce rejaillissant sur les autres.
L’âme du Christ n’est pas Divine par essence. C’est pourquoi il faut qu’elle devienne Divine par participation, c’est-à-dire selon la grâce.
Les dons sont des perfections apportées aux puissances de l’âme, pour les rendre aptes à être mues par le Saint-Esprit. Les vertus doivent être aidées par les dons qui viennent parfaire les puissances de l’âme et leur permettre d’être mues par le Saint-Esprit.
La foi et l’espérance sont des effets de la grâce qui impliquent une certaine déficience chez leur sujet : car la foi a pour objet ce que l’on ne voit pas, et l’espérance ce que l’on ne possède pas la fin de la grâce, c’est l’union de la nature rationnelle à Dieu ; et il n’est pas possible de réaliser, ni même de concevoir union plus intime que celle qui se fait dans la personne. C’est pourquoi la grâce atteint son degré suprême dans le Christ, et il est manifeste que, en tant que grâce, elle n’a pu augmenter.
La tête a une supériorité manifeste sur les autres membres extérieurs ; le cœur, lui, exerce une influence cachée. C’est pourquoi l’on compare au cœur le Saint-Esprit, Qui vivifie et unifie invisiblement l’Église ; et l’on compare à la tête le Christ, dans Sa nature visible, parce que, comme homme, Il l’emporte sur les autres hommes.
Le Christ est la tête de tous les hommes. Il faut donc regarder comme membres du corps mystique non seulement ceux qui le sont en acte, mais aussi ceux qui le sont en puissance. Parmi ces derniers, les uns le sont en puissance sans jamais le devenir en acte ; les autres le deviennent en acte à un moment donné selon trois degrés : par la foi, par la charité en cette vie, et enfin par la béatitude de la patrie céleste.
Donc, si nous considérons en général toutes les époques du monde, le Christ est la tête de tous les hommes, mais à divers degrés :
• d’abord et avant tout, Il est la tête de ceux qui Lui sont unis en acte par la gloire ;
• Il est la tête de ceux qui Lui sont unis en acte par la charité ;
• de ceux qui Lui sont unis en acte par la foi ;
• de ceux qui Lui sont unis en puissance mais qui, dans les desseins de la prédestination Divine, le seront un jour en acte ;
• Il est la tête de ceux qui Lui sont unis en puissance et ne le seront jamais en acte, comme les hommes qui vivent en ce monde et ne sont pas prédestinés. Ceux-ci, quand ils quittent cette vie, cessent entièrement d’être membres du Christ, car ils ne sont plus en puissance à Lui être unis.
Les infidèles, bien qu’ils ne soient pas en acte membres de l’Église, Lui appartiennent cependant en puissance. Cette puissance a deux fondements : d’abord, et comme principe, la vertu du Christ qui suffit au salut de tout le genre humain, ensuite le libre arbitre. Il y a cependant certains péchés, les péchés mortels, dont sont indemnes les membres du Christ qui Lui sont unis en acte par la charité. Quant à ceux qui sont esclaves de tels péchés, ils ne sont pas membres du Christ en acte, mais en puissance, sauf peut-être d’une manière imparfaite par la foi informe. Car celle-ci unit au Christ de façon relative, et non de cette façon absolue qui permet à l’homme d’obtenir par le Christ la vie de la grâce, selon S. Jacques (2, 20) : « La foi sans les œuvres est morte. » De tels membres reçoivent du Christ l’acte vital de croire, et ils sont semblables à un membre mort que l’homme parvient à remuer quelque peu.
S’il a donné à Ses membres d’être pasteurs, Il S’est réservé à Lui seul d’être la porte ; car la porte signifie l’autorité principale, puisque c’est par elle que tous entrent dans la maison. Lorsque des hommes, en commettant le péché, sont conduits à cette fin, ils tombent sous le régime et le gouvernement du diable, et celui-ci peut être appelé leur tête. Tous les péchés se ressemblent quant à l’aversion loin de Dieu ; ils diffèrent selon la conversion à des biens changeants et divers.
L’homme est en puissance à la science des bienheureux qui consiste dans la vision de Dieu, et il se trouve ordonné à elle comme à sa fin ; créature raisonnable, en effet, il est capable de cette connaissance bienheureuse, parce qu’il est à l’image de Dieu. Par nature, l’âme est capable de Dieu étant créée à Son image. L’essence Divine dépasse infiniment l’âme du Christ, et ne saurait être limitée par elle. L’âme du Christ n’a donc pas la compréhension du Verbe.
L’incréé est demeuré l’incréé, et le créé est resté dans les limites de la créature le Fils de l’Homme a la compréhension de l’essence Divine non par Son âme, mais par Sa nature Divine. La lumière incréée de l’intelligence Divine surpasse à l’infini toute lumière créée reçue par l’âme du Christ.
L’être et le vrai sont convertibles. Rien n’est connu sinon autant qu’il est en acte, et non en puissance. L’objet propre de l’intellect est la quiddité ; notre intellect atteint l’universel. A la sagesse, en effet, revient la connaissance de toutes les choses Divines ; à l’intelligence, la connaissance de toutes les réalités immatérielles ; à la science, la connaissance de toutes les conclusions ; au conseil, la connaissance de tout ce qui concerne l’action.
Par l’intellect agent on rend toutes choses intelligibles. Le Christ a progressé en sagesse et en grâce, tout aussi bien qu’en âge car, à mesure qu’Il croissait en âge, Il faisait des œuvres plus grandes qui manifestaient une science et une grâce plus élevées. Mais, sous le rapport de l’habitus même de science, il est évident que Son habitus de science infuse ne s’est pas développé puisque, dès le principe, Il a possédé pleinement la science infuse de toutes choses.
Encore moins Sa science bienheureuse a-t-elle pu s’accroître ; quant à la science proprement Divine, elle ne peut pas grandir. Puisque l’âme du Christ est d’une nature inférieure à la nature Divine, les similitudes des choses ne seront donc pas reçues en elle avec la perfection et la puissance qu’elles ont dans la nature Divine. De là vient que la science de l’âme du Christ est inférieure à la science Divine, soit en ce qui concerne le mode de connaître, puisque Dieu connaît d’une manière plus parfaite que l’âme du Christ ; soit en ce qui concerne le nombre des choses sues, puisque l’âme du Christ ne connaît pas toutes les choses que Dieu peut faire et qui sont l’objet de sa science de simple intelligence ; néanmoins elle connaît tout le présent, le passé et le futur que Dieu connaît par sa science de vision.
Il y a pour l’homme trois états : l’état d’innocence, l’état de culpabilité et l’état de gloire. De l’état de gloire le Christ a assumé la vision béatifique ; de l’état d’innocence il a assumé l’exemption de péché ; enfin de l’état de culpabilité il a assumé la nécessité de se soumettre aux pénalités de cette vie. L’âme du Christ ne pouvait pas accomplir de telles oeuvres par Sa propre puissance, mais seulement en tant qu’instrument de la Divinité.
Nous lisons (He 2, 8) « Parce qu’Il a souffert et a été Lui-même éprouvé, Il peut secourir ceux qui sont éprouvés. » Il convenait donc que le Fils de Dieu assumât une chair soumise aux infirmités humaines, afin de pouvoir en elle souffrir, être éprouvé, ainsi nous porter secours.
Il convenait que le corps assumé par le Fils de Dieu fût soumis aux infirmités et aux souffrances humaines principalement pour trois motifs.
• Le Fils de Dieu, en assumant la chair, est venu en ce monde satisfaire pour le péché du genre humain. Or, on satisfait pour le péché d’un autre en prenant sur soi la peine due au péché de l’autre. Les infirmités corporelles, comme la mort, la faim, la soif, etc., sont le châtiment du péché, lequel a été introduit dans le monde par Adam, selon l’épître aux Romains (5, 11) : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. » Il était donc convenable, relativement à la fin de l’Incarnation, que le Christ assumât pour nous ces pénalités de notre chair, selon la parole d’Isaïe (53, 4) « Il a véritablement porté nos souffrances. »
• Il le fallait pour confirmer notre foi en l’Incarnation. Si le Fils de Dieu avait assumé la nature humaine sans ces déficiences on aurait donc pu croire qu’Il n’était pas homme véritable, et qu’Il n’avait qu’une chair irréelle, comme l’ont prétendu les manichéens. C’est pourquoi, dit l’épître aux Philippiens (2, 7) : « Il S’est anéanti Lui-même en prenant la forme d’un esclave, en se rendant semblable aux hommes, et Il a été reconnu pour homme en tout ce qui a paru de Lui. » C’est pourquoi également Thomas fut ramené à la foi par la vue des plaies (Jn 20, 26).
• Le Christ nous donne l’exemple de la patience en supportant courageusement les souffrances et les infirmités humaines.
Cette satisfaction ne serait pas efficace si elle ne procédait pas de la charité. Il a donc fallu que l’âme du Christ soit parfaite quant aux habitus de science et de vertu, pour être capable de satisfaire ; il a fallu que Son corps soit sujet aux infirmités pour que la satisfaction ne soit pas privée de matière. La volonté Divine permettait à la chair de pâtir et d’agir conformément à ses propriétés naturelles.
La faiblesse assumée par le Christ, loin d’être un obstacle à la fin de l’Incarnation, l’a extrêmement favorisée. Et bien qu’elle ait voilé Sa Divinité, elle manifestait néanmoins Son humanité, qui est la voie par laquelle nous parvenons à la Divinité. Le Christ devait donc assumer les déficiences qui viennent du péché commun à toute la nature, et qui pourtant ne s’opposent pas à la perfection de la science et de la grâce. Aussi le Christ a-t-il donné un plus grand exemple aux pénitents en acceptant de subir la peine non pour ses propres fautes, mais pour les péchés des autres.
Par une dispensation de la puissance Divine du Christ, la béatitude était contenue et, ne rejaillissant pas sur le corps, ne Lui enlevait pas la possibilité ni la mortalité. Pour la même raison, la jouissance de la contemplation était contenue dans l’esprit, et ne s’écoulait pas vers les puissances sensibles, ce qui les aurait préservées de la douleur. Par une dispensation de la puissance Divine, la jouissance de la contemplation de Dieu était contenue dans l’esprit du Christ et, ne rejaillissant pas sur les puissances sensibles, ne les préservait pas de la douleur.
La colère qui transgresse l’ordre de la raison est opposée à la mansuétude ; mais non la colère qui est modérée et maintenue par la raison dans un juste milieu, car ce juste milieu, c’est précisément la mansuétude. L’unité et l’être sont convertibles. L’être suit la nature le Fils de Dieu devait assumer, avec la nature humaine, une volonté humaine. Toutefois, en assumant la nature humaine, le Fils de Dieu n’a éprouvé aucun amoindrissement dans ce qui appartient à la nature Divine, à laquelle convient la volonté. Aussi est-il nécessaire de dire que dans le Christ il y a deux volontés : Divine et humaine.
La nature humaine, par sa condition même, est soumise à Dieu de trois manières.
• Sous le rapport de la bonté, en tant que la nature Divine est la bonté par essence, comme le montre Denys, la nature humaine ne possède qu’une certaine participation de la bonté Divine, et se trouve soumise pour ainsi dire au rayonnement de cette bonté.
• La nature humaine est soumise à Dieu en raison de la puissance de Dieu parce que, comme toute créature, elle obéit à l’activité réglée par Lui.
• Sous le rapport de son acte propre, en tant que la nature humaine doit une obéissance volontaire aux préceptes Divins.
Il y a l’affirmation de l’épître aux Hébreux : « Nous avons un grand prêtre qui a pénétré dans les cieux : Jésus, le Fils de Dieu. » L’office propre du prêtre est d’être médiateur entre Dieu et le peuple en tant qu’il transmet au peuple les biens Divins, d’où son nom de « sacer-dos », c’est-à-dire « sacra dans » – « qui donne les choses saintes » ; selon Malachie (2, 7) : « C’est de sa bouche qu’on attend l’enseignement. » De plus, le prêtre est médiateur en tant qu’il offre à Dieu les prières du peuple et satisfait à Dieu en quelque manière pour les péchés ; de là cette parole (He 5, 1) : « Tout grand prêtre, pris d’entre les hommes, est établi en faveur des hommes dans ce qui a rapport à Dieu, afin d’offrir des oblations et des sacrifices pour les péchés. »
Or cela convient parfaitement au Christ. Par lui en effet, les dons de Dieu sont transmis aux hommes, selon S. Pierre (2 P 1, 4) : « Par Lui nous avons été mis en possession de grandes et précieuses promesses, afin de devenir ainsi participants de la nature Divine. » De même le Christ a réconcilié avec Dieu le genre humain. Il convient donc souverainement au Christ d’être prêtre.
Puisque le sacerdoce de l’ancienne loi n’était que la figure de celui du Christ, le Christ n’a pas voulu naître de la race des prêtres préfiguratifs, afin de montrer que Son sacerdoce n’était pas identique à l’ancien, mais en différait comme la vérité de sa préfiguration.
Il y a cette parole de l’Apôtre (Ep 5, 2) : « Le Christ nous a aimés et S’est livré pour nous en oblation et en victime d’agréable odeur. » L’homme a donc besoin du sacrifice pour trois motifs.
• Pour la rémission du péché qui le détourne de Dieu ; c’est pourquoi l’Apôtre dit (He 5,1) qu’il appartient au prêtre « d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés ».
• Pour que l’homme se maintienne dans l’état de grâce et d’union à Dieu en qui se trouvent sa paix et son salut. De là, dans l’ancienne loi, l’immolation de la victime pacifique pour le salut de ceux qui l’offraient, prescrit par le Lévitique (chap. 3).
• Pour que l’esprit de l’homme soit parfaitement uni à Dieu, ce qui se réalisera dans la gloire. C’est pourquoi, dans l’ancienne loi, on offrait l’holocauste où tout était brûlé. Or tous ces bienfaits nous sont venus à travers l’humanité du Christ.
• Par elle, en effet, nos péchés ont été effacés, selon l’épître aux Romains (4, 25) : « Il s’est livré pour nos péchés. »
• Par le Christ encore nous recevons la grâce qui nous sauve, comme dit l’épître aux Hébreux (5, 9) : « Il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel. »
• Par Lui enfin nous obtenons la perfection de la gloire, car, dit l’épître aux Hébreux (10, 19) : « Voici que nous possédons, par le sang de Jésus, l’accès assuré dans le sanctuaire”, c’est-à-dire dans la gloire céleste. Le Christ, en tant qu’homme, fut donc non seulement prêtre, mais victime parfaite, étant à la fois victime pour le péché, victime pacifique, et holocauste.
L’Apôtre écrit (He 9, 14) « Le Sang du Christ Qui, par l’Esprit Saint S’est offert Lui-même sans tache à Dieu, purifiera nos consciences des oeuvres mortes pour servir le Dieu vivant. » Or les oeuvres mortes sont les péchés. C’est donc que le sacerdoce du Christ a la puissance de purifier les péchés.
Deux choses sont nécessaires à la purification parfaite des péchés, en tant qu’il y a deux éléments à considérer dans le péché : la tache de la faute et l’obligation à la peine. La tache de la faute est enlevée par la grâce qui tourne le coeur du pécheur vers Dieu ; l’obligation à la peine disparaît du fait que l’homme satisfait à Dieu.
Or ces deux effets sont réalisés par le sacerdoce du Christ. Par la vertu de ce sacerdoce la grâce nous est donnée et nos coeurs sont tournés vers Dieu, selon l’épître aux Romains (3, 24) : « Tous sont justifiés gratuitement par Sa grâce, en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi d’avance comme moyen de propitiation par la foi en Son sang. » De plus, le Christ a pleinement satisfait pour nous, car « Il S’est chargé de nos infirmités et Il a porté nos douleurs” (Is 53, 4). Il est donc bien évident que le sacerdoce du Christ a pleine puissance pour expier les péchés.
Bien que le Christ ne soit pas prêtre en tant que Dieu, mais en tant qu’homme, c’est la même et unique personne qui est à la fois prêtre et Dieu. Quant au sacrifice quotidien qui est offert dans l’Église, il n’est pas un sacrifice différent de celui du Christ, mais il en est la communication.
Dieu est l’infinie bonté ; en vertu de cette bonté, Il appelle les créatures à la participation de Ses biens, et spécialement les créatures rationnelles qui, créées à l’image de Dieu, sont capables de la béatitude Divine. Celle-ci consiste en la jouissance de Dieu, par laquelle Dieu Lui-même est bienheureux et riche par Lui-même en tant qu’Il jouit de Lui-même. Les biens spirituels peuvent être possédés par plusieurs à la fois, mais non les biens corporels. Toute production d’un effet quelconque chez les créatures est commune à toute la Trinité, en raison de son unité de nature, parce que là où il y a unité de nature il y a unité de puissance et d’opération. La filiation adoptive est une image de la filiation éternelle, comme tout ce qui a été créé dans le temps est une image des réalités éternelles.
Il est donc manifeste qu’être adopté convient aux seules créatures rationnelles, non pas à toutes, mais à celles-là seulement qui possèdent la charité. Quant aux démons, ils ont en commun avec Dieu l’immortalité, et avec l’homme la misère. Il agit donc comme « un mauvais médiateur qui sépare des amis ». Le Christ, Lui, a en commun avec Dieu la béatitude, et avec l’homme la nature mortelle. Il est « le bon médiateur qui réconcilie les ennemis ».
Bien qu’il convienne au Christ, en tant que Dieu, d’enlever le péché par son autorité, il Lui revient en tant qu’homme, de satisfaire pour le péché du genre humain ; et c’est à ce titre que le Christ est appelé médiateur entre Dieu et les hommes. II est inadmissible que le Christ ne soit pas « le sauveur de tous les hommes »
Le foyer de péché est une tache au moins pour la chair. Il n’y en a donc pas eu chez la Bienheureuse Vierge. La Bienheureuse Vierge n’a commis aucun péché actuel, ni mortel ni véniel, si bien que s’accomplit en elle la parole du Cantique (4, 7) : « Vous êtes toute belle, ma bienaimée, et il n’y a pas de tache en vous. » A la Bienheureuse Vierge il fut donné de ne jamais commettre aucun péché, ni mortel ni véniel.
Que le Christ ait été conçu d’une vierge, cela convient pour quatre motifs :
• Pour sauvegarder la dignité de Celui Qui L’envoie.
• Cela convenait à ce qui est le propre du Fils de Dieu, Qui est envoyé.
• Cela convenait à la dignité de l’humanité du Christ.
• Cela convenait à cause de la fin même de l’incarnation du Christ: « Il fallait que notre tête naquît, selon la chair, d’une vierge par un miracle insigne, pour montrer que ses membres devaient naître, selon l’esprit, de cette vierge qu’est l’Église. » Afin de montrer la réalité de son corps, Il naît d’une femme. Mais afin de montrer Sa Divinité, Il procède d’une vierge.
Il est écrit dans Ézéchiel (44, 2) : « Cette porte sera fermée ; elle ne s’ouvrira point ; et l’homme n’y passera pas parce que le Seigneur Dieu d’Israël est entré par elle. » Et « elle sera fermée pour toujours » : Marie est vierge avant l’enfantement, vierge dans l’enfantement et vierge après l’enfantement. » Il faut sans aucun doute rejeter l’erreur d’Helvidius, qui a osé dire que la mère du Christ, après l’avoir enfanté, a eu des rapports conjugaux avec Joseph et a engendré d’autres fils.
• Cela porte atteinte à la perfection du Christ. Étant, selon sa nature Divine, le Fils unique du Père, comme étant parfait à tous égards, il convenait qu’Il fût le Fils unique de Sa mère, son fruit très parfait.
• Cette erreur fait injure au Saint-Esprit, car le sein virginal fut le sanctuaire où Il forma la chair du Christ ; aussi aurait-il été indécent qu’il fût ensuite profané par une union avec l’homme.
• Elle rabaisse la dignité et la sainteté de la Mère de Dieu, qui aurait paru très ingrate si elle ne s’était pas contentée d’un Fils pareil et si elle avait voulu perdre par une union charnelle la virginité qui s’était miraculeusement conservée en elle.
• On devrait encore reprocher à Joseph la plus grande audace s’il avait essayé de souiller celle dont l’ange lui avait révélé qu’elle a conçu Dieu par l’opération du Saint-Esprit. C’est pourquoi il faut affirmer sans aucune réserve que la Mère de Dieu, qui était restée vierge en concevant et en enfantant, est encore restée perpétuellement vierge après avoir enfanté. L’Écriture parle de “frères” en quatre sens : « par la nature, la nation, la parenté, l’affection ».
On lit chez S. Matthieu (1, 18) : « Marie, la mère de Jésus, était mariée à Joseph. » Et chez S. Luc (1, 26) : « L’ange Gabriel fut envoyé à Marie, une vierge mariée à un homme appelé Joseph. » Il convenait que la vierge dont le Christ devait naître fût mariée, à cause du Christ lui-même, à cause de sa mère et à cause de nous.
• A cause du Christ pour quatre raisons.
– Afin qu’il ne soit pas rejeté par les infidèles comme un enfant illégitime.
– Afin que l’on pût dresser la généalogie du Christ, selon l’usage, en ligne masculine.
– Afin de protéger le nouveau-né contre les attaques que le diable aurait lancées contre lui avec plus de violence. Et c’est pourquoi S. Ignace soutient qu’elle fut mariée « afin que son enfantement fût caché au diable ».
– Afin d’être nourri par Joseph. Il est donc dit père nourricier.
• En outre, cela convenait à l’égard de la Vierge elle-même.
– Elle échappait ainsi au châtiment « afin de ne pas être lapidée par les juifs comme adultère » selon S. Jérôme.
– Elle était ainsi protégée contre le déshonneur.
– « Pour montrer l’aide que lui apporta S. Joseph », dit S. Jérôme.
• Cela convenait aussi en ce qui nous concerne.
– Parce que le témoignage de Joseph atteste que le Christ est né d’une vierge.
– Parce que les propres paroles de la Vierge affirmant sa virginité en reçoivent plus de crédit.
– Pour enlever toute excuse aux vierges qui, par leur imprudence, n’évitent pas le déshonneur.
– Parce qu’il y avait là un symbole de toute l’Église qui, « bien que vierge, a été mariée à un unique époux, le Christ », dit S. Augustin.
• On peut encore ajouter une cinquième raison à ce que la Mère du Seigneur fût une vierge mariée : en sa personne sont honorés et la virginité et le mariage, contre les hérétiques qui rabaissent l’un ou l’autre.
La première cause de la perdition de l’humanité fut l’envoi à la femme, par le diable, du serpent qui devait la tromper par un esprit d’orgueil. Aussi y a-t-il en l’homme une certaine ressemblance imparfaite en tant qu’il a été créé à l’image de Dieu, et en tant qu’il a été recréé selon la ressemblance de la grâce ; et c’est pourquoi des deux manières l’homme peut être appelé fils de Dieu : et parce qu’il a été créé à Son image, et parce qu’il est venu à la ressemblance que donne la grâce.
La nature est ce par quoi un être existe, tandis que la personne est ce qui possède l’être subsistant. Dans le Christ il y a deux natures : l’une qu’Il a reçue du Père, de toute éternité ; l’autre qu’iI a reçue de Sa mère, dans le temps. Il est donc nécessaire d’attribuer au Christ deux naissances : l’une par laquelle Il est né éternellement du Père ; l’autre par laquelle Il est né de Sa mère dans le temps. La Bienheureuse Vierge est appelée « mère de Dieu », non pas qu’elle soit la mère de la Divinité, mais parce qu’elle est la mère, selon l’humanité, de la Personne qui possède la Divinité et l’humanité.
Le Christ a confondu la vaine gloire des hommes qui s’enorgueillissent de naître dans des villes réputées et cherchent à y être honorés. A l’inverse, le Christ a voulu naître dans une cité sans gloire, et souffrir l’opprobre dans une cité illustre. Comme dit S. Paul (1 Co 1, 27) : « Dieu choisit ce qui est faible ici-bas pour confondre ce qui est fort. » C’est pourquoi, afin de montrer davantage son pouvoir, c’est de Rome même, capitale du monde, qu’Il fit la capitale de son Église, en signe de victoire parfaite. Les mages étaient sages et puissants, les bergers ignorants et grossiers. Il s’est aussi manifesté à des justes comme Syméon et Anne, et à des pécheurs comme les mages ; il s’est encore manifesté à des hommes et à des femmes, comme Anne, pour montrer que nulle condition humaine n’est exclue du salut du Christ.
Les Juifs, comme usant de la raison, devaient être avertis par la prédication d’un être raisonnable, l’ange. Mais les païens, qui ne savaient pas employer leur raison à connaître le Seigneur, sont conduits non par la parole, mais par des signes. Les bergers symbolisaient les Apôtres et les autres Juifs croyants, auxquels la foi au Christ fut manifestée en premier, parmi lesquels, dit S. Paul (1 Co 1, 20), il n’y eut « pas beaucoup de puissants ni beaucoup de nobles ». Ensuite la foi au Christ parvint à la plénitude des nations, préfigurée par les mages, et enfin à la plénitude des juifs, préfigurée par les justes. De là vient aussi que le Christ leur fut manifesté dans le temple des juifs.
Selon S. Jean Chrysostome, « si les mages étaient venus chercher un roi de la terre, ils auraient été déçus ; car ils auraient supporté sans raison la fatigue d’un si long trajet ». Mais, cherchant le roi du ciel, « quoique ne voyant rien en Lui de la dignité royale, ils se contentèrent cependant du témoignage de l’étoile, et ils L’adorèrent ». En effet, ils voient un homme et ils reconnaissent Dieu. Et ils offrent des présents accordés à la dignité du Christ. « L’or, comme au grand Roi ; l’encens, qui sert dans les sacrifices Divins, comme à Dieu ; la myrrhe, dont on embaume les corps des défunts, comme à celui qui doit mourir pour le salut des hommes. » S. Grégoire dit encore : Nous apprenons par là « à offrir au Roi nouveau-né l’or », qui symbolise la sagesse, « lorsque nous resplendissons en sa présence de la lumière de la sagesse ; l’encens” qui exprime le don de soi dans la prière, « nous l’offrons quand, par l’ardeur de notre prière, nous exhalons devant Dieu une bonne odeur ; et la myrrhe, qui symbolise la mortification de la chair, nous l’offrons si nous mortifions nos vices charnels par l’abstinence ».
Le Christ a accepté la circoncision qui est un remède contre le péché originel, alors qu’Il n’avait pas le péché originel, pour nous libérer du joug de la loi et produire en nous la circoncision spirituelle ; c’est-à-dire qu’il voulait, en acceptant la figure, accomplir la réalité. Le Baptême de Jean n’était pas par lui-même un sacrement, mais comme une sorte de sacramental disposant au Baptême du Christ. Il en résulte que le Baptême de Jean ne conférait pas la grâce, mais y préparait seulement. De trois manières :
• par l’enseignement de Jean, qui amenait les auditeurs à la foi au Christ ;
• en accoutumant les hommes au rite du Baptême du Christ ;
• par la pénitence, qui les préparait à recevoir l’effet du Baptême du Christ.
Le Christ n’a pas été baptisé pour être purifié, mais pour purifier. La fin est première dans l’ordre d’intention, mais dernière dans l’ordre d’exécution.
On peut symboliser les sept dons du Saint-Esprit par les caractéristiques de la colombe.
• Elle niche près des cours d’eau, et dès qu’elle voit l’épervier, elle plonge et s’échappe. Cela se rattache au don de la sagesse, par lequel les saints demeurent le long des eaux de la Divine Écriture et échappent ainsi aux assauts du démon.
• La colombe choisit les meilleurs grains. Cela se rattache au don de science, par lequel les saints choisissent pour leur nourriture les opinions saines.
• La colombe nourrit les petits qui lui sont étrangers. Cela se rattache au don de conseil par lequel les saints nourrissent les hommes qui furent les petits du démon, c’est-à-dire ses imitateurs, par leur enseignement et leur exemple.
• La colombe ne déchire pas avec son bec, ce qui se rattache au don d’intelligence, par lequel les saints ne pervertissent pas les opinions saines en les lacérant, comme font les hérétiques.
• La colombe n’a pas de fiel, ce qui se rattache au don de piété, par lequel les saints évitent la colère déraisonnable.
• La colombe fait son nid dans les anfractuosités des rochers. Cela se rattache au don de force, par lequel les saints font leur nid, c’est-à-dire mettent leur refuge et leur espoir dans les plaies et la mort du Christ.
• La colombe gémit au lieu de chanter. Cela se rattache au don de crainte, par lequel les saints se plaisent à déplorer leurs péchés.
Il y a le texte de Baruch (3, 38 Vg) : « Après cela Dieu Se fit voir sur la terre et vécut parmi les hommes. » Le genre de vie du Christ devait s’accorder avec la fin de l’Incarnation, selon laquelle Il est venu dans le monde.
• Il est venu d’abord pour manifester la vérité, comme Il l’a dit lui-même (Jn 18, 37) : « Je suis né et Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » C’est pourquoi Il ne devait pas Se cacher en menant la vie solitaire, mais Se montrer en public en prêchant ouvertement. A ceux qui voulaient Le retenir Il a dit (Lc 4, 42) : « Il faut aussi que J’aille annoncer le règne de Dieu aux autres cités, car c’est pour cela que J’ai été envoyé. »
• Il est venu pour délivrer les hommes de leurs péchés : « Le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs” (1 Tm 1, 15). Et c’est pourquoi, dit S. Jean Chrysostome « le Christ aurait pu en demeurant au même endroit attirer à Lui tous les auditeurs de Sa prédication, mais Il ne l’a pas fait ; Il nous a donné l’exemple pour que nous allions à la recherche de ceux qui se perdent, comme le pasteur cherche la brebis perdue et le médecin vient auprès du malade ».
• Il est venu afin que « par lui nous ayons accès à Dieu » (Rm 5, 2). Et ainsi convenait-il que, vivant familièrement avec les hommes, Il inspire à tous la confiance d’aller vers Lui. On lit en S. Matthieu (9, 10) « Il arriva, comme Il était à table dans la maison, que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent s’attabler avec Lui et Ses disciples. » Ce que S. Jérôme commente ainsi : « Ils avaient vu un publicain converti de ses péchés à une vie meilleure, admis à la pénitence. Aussi eux-mêmes ne désespéraient-ils pas de leur salut. »
La vie contemplative est meilleure absolument que la vie active qui ne comporte que des activités corporelles. Mais la vie active selon laquelle on livre aux autres, par la prédication et l’enseignement, ce qu’on a contemplé, est plus parfaite que la vie exclusivement contemplative, puisqu’une telle vie présuppose l’abondance de la contemplation. Et c’est pourquoi le Christ a choisi une telle vie.
Le Seigneur s’est parfois éloigné des foules. On voit dans l’évangile qu’il l’a fait pour trois motifs.
• Parfois pour obtenir un repos physique. D’après S. Marc (6, 31), « Il disait à Ses disciples : « Venez à l’écart dans un désert et reposez-vous un peu. » Car les gens ne cessaient d’aller et venir, et on n’avait plus le temps de manger. »
• Parfois, c’était pour prier. S. Luc nous dit (6, 12) : « En ces jours-là, Il se retira dans la montagne pour prier, et Il passait la nuit à prier Dieu. »
• Parfois Il le faisait pour enseigner à éviter la faveur humaine. Aussi, sur S. Matthieu (5, 1) : « Voyant les foules, Jésus gravit la montagne », S. Jean Chrysostome nous dit : « En siégeant non pas dans la ville et sur le forum, mais dans la montagne et la solitude, Il nous a enseigné à ne jamais agir par ostentation et à nous éloigner de l’agitation, surtout lorsqu’il faut discuter de ce qui est nécessaire au salut. »
Les tentations du diable s’acharnent surtout contre les sanctifiés. Le Christ s’est irrité et le repoussa en disant : « Arrière, Satan ! » pour que nous sachions à son exemple supporter avec magnanimité les offenses qui nous sont faites, et ne pas même supporter d’entendre offenser Dieu. Le salut de la multitude doit passer avant la paix de quelques individus. C’est pourquoi, quand certains empêchent par leur perversité le salut du grand nombre, il ne faut pas craindre qu’un prédicateur ou un docteur les heurte afin de pourvoir au salut de la multitude. Mais quand le scandale naît de la vérité, il vaut mieux endurer le scandale qu’abandonner la vérité.
Il convenait que le Christ n’ait pas mis par écrit Son enseignement :
• A cause de sa dignité. Plus un docteur est éminent, et plus le mode de son enseignement doit l’être. Et c’est pourquoi il convenait au Christ, comme au plus éminent des docteurs, de graver Sa doctrine dans le cœur de Ses auditeurs.
• A cause de la supériorité de la doctrine du Christ, qui ne pouvait s’enfermer dans un texte.
• Le Christ n’a rien écrit afin que Son enseignement parvienne à tous, à partir de Lui, dans un certain ordre, c’est-à-dire que Lui-même instruisait immédiatement Ses disciples, qui ensuite ont instruit les autres par leur parole et par leurs écrits.
L’adoption des fils de Dieu se fait par une certaine image qui les rend conformes au Fils de Dieu par nature. Cela se fait d’une double manière :
• d’abord par la grâce du voyage, qui donne une conformité imparfaite.
• Ensuite par la gloire de la patrie qui donnera une conformité parfaite.
Que l’homme soit délivré par la passion du Christ, cela convenait et à la justice et à la miséricorde de Celui-ci.
• A Sa justice parce que le Christ par sa passion a satisfait pour le péché du genre humain, et ainsi l’homme a été délivré par la justice du Christ.
• Mais cela convenait aussi à la miséricorde parce que, l’homme ne pouvant par lui-même satisfaire pour le péché de toute la nature humaine, Dieu lui a donné Son Fils pour opérer cette satisfaction.
Pour guérir notre misère, il n’y avait pas de moyen plus adapté que la passion du Christ.
• Par elle, l’homme connaît combien Dieu l’aime et par là il est provoqué à L’aimer, et c’est en cet amour que consiste la perfection du salut de l’homme.
• Par la passion, le Christ nous a donné l’exemple de l’obéissance, de l’humilité, de la constance, de la justice et des autres vertus nécessaires au salut de l’homme. Comme dit S. Pierre (1 P 2, 21) : « Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un modèle afin que nous suivions Ses traces. »
• Le Christ, par Sa passion, n’a pas seulement délivré l’homme du péché ; Il lui a en outre mérité la grâce de la justification et la gloire de la béatitude.
• Du fait de la Passion, l’homme comprend qu’il est obligé de se garder pur de tout péché lorsqu’il pense qu’il a été racheté du péché par le sang du Christ, selon S. Paul (1Co 6, 20) : « Vous avez été rachetés assez cher ! »
• La Passion a conféré à l’homme une plus haute dignité.
Et pour toutes ces raisons, il valait mieux que nous soyons délivrés par la passion du Christ plutôt que par la seule volonté de Dieu. Il convenait aussi, pour vaincre l’orgueil du diable “qui fuit la justice et recherche la puissance”, que le Christ “vainque le démon et libère l’homme, non par la seule puissance de la Divinité, mais aussi par la justice et l’humilité de Sa passion”, remarque S. Augustin.
Il est écrit (Ph 2, 3) « Il S’est fait obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix. » Il convenait au plus haut point que le Christ souffre la mort de la croix.
• Pour nous donner un exemple de vertu. Nul genre de mort ne soit à craindre par l’homme dont la vie est droite, c’est ce que nous a montré la croix de cet homme, car, entre tous les genres de mort, c’est le plus odieux et le plus redoutable.
• Ce genre de mort était parfaitement apte à satisfaire pour le péché de notre premier père ; celui-ci l’avait commis en mangeant le fruit de l’arbre interdit, contrairement à l’ordre de Dieu. Il convenait donc que le Christ, en vue de satisfaire pour ce péché, souffre d’être attaché à l’arbre de la croix, comme pour restituer ce qu’Adam avait enlevé. Tout ce qu’Adam avait perdu, le Christ l’a retrouvé sur la croix.
• Comme dit S. Jean Chrysostome : « Le Christ a souffert sur un arbre élevé et non sous un toit, afin de purifier la nature de l’air. La terre elle-même a ressenti les effets de la Passion ; car elle a été purifiée par le sang qui coulait goutte à goutte du côté du Crucifié. »
• « Par Sa mort sur la croix, le Christ a préparé notre ascension au ciel », d’après Chrysostome. C’est pourquoi Il a dit Lui-même (Jn 12, 32) : “Moi, lorsque j’aurai été élevé de terre, J’attirerai tout à Moi. »
• Cela convenait au salut de tout le genre humain. C’est pourquoi S. Grégoire de Nysse a pu dire : « La figure de la croix, où se rejoignent au centre quatre branches opposées, symbolise que la puissance et la providence de celui qui y est suspendu se répandent partout. » Et S. Jean Chrysostome dit encore : « Il meurt en étendant les mains sur la croix ; de l’une Il attire l’ancien peuple, de l’autre ceux qui viennent des nations. »
• Par ce genre de mort sont symbolisées diverses vertus, selon S. Augustin : « Ce n’est pas pour rien que le Christ a choisi ce genre de mort, pour montrer qu’il est le maître de la largeur et de la hauteur, de la longueur et de la profondeur » dont parle S. Paul (Ep 3, 18). « Car la largeur se trouve dans la traverse supérieure : elle figure les bonnes œuvres parce que les mains y sont étendues. La longueur est ce que l’on voit du bois au-dessus de la terre, car c’est là qu’on se tient pour ainsi dire debout, ce qui figure la persistance et la persévérance, fruits de la longanimité. La hauteur se trouve dans la partie du bois située au-dessus de la traverse ; elle se tourne vers le haut, c’est-à-dire vers la tête du crucifié parce qu’elle est la suprême attente de ceux qui ont la vertu d’espérance. Enfin la profondeur comprend la partie du bois qui est cachée en terre ; toute la croix semble en surgir, ce qui symbolise la profondeur de la grâce gratuite. » Et comme S. Augustin le dit ailleurs : « Le bois auquel étaient cloués les membres du crucifié était aussi la chaire d’où le maître enseignait. »
• Ce genre de mort répond à de très nombreuses préfigurations. Comme dit S. Augustin : « Une arche de bois a sauvé le genre humain du déluge. Lorsque le peuple de Dieu quittait l’Égypte, Moïse a divisé la mer à l’aide d’un bâton et, terrassant ainsi le pharaon, il a racheté le peuple de Dieu. Ce même bâton, Moïse l’a plongé dans une eau amère qu’il a rendue douce. Et c’est encore avec un bâton que Moïse a fait jaillir du rocher préfiguratif une eau salutaire. Pour vaincre Amalec, Moïse tenait les mains étendues sur son bâton. La loi de Dieu était confiée à l’arche d’Alliance, qui était en bois. Par là tous étaient, comme par degrés, amenés au bois de la croix. »
Selon leur genre, le Christ a enduré toutes les souffrances, sous un triple rapport.
• De la part des hommes qui les lui ont infligées. Il a souffert de la part des païens et des juifs, des hommes et des femmes, comme on le voit avec les servantes qui accusaient Pierre. Il a encore souffert de la part des chefs et de leurs serviteurs, et aussi de la part du peuple. Il a aussi été affligé par tous ceux qui vivaient dans Son entourage et Sa familiarité, puisque Judas L’a trahi et que Pierre L’a renié.
• Dans tout ce qui peut faire souffrir un homme. Le Christ a souffert dans Ses amis qui L’ont abandonné ; dans Sa réputation par les blasphèmes proférés contre Lui ; dans Son honneur et dans Sa gloire par les moqueries et les affronts qu’Il dut supporter ; dans Ses biens lorsqu’Il fut dépouillé de Ses vêtements ; dans Son âme par la tristesse, le dégoût et la peur ; dans Son corps par les blessures et les coups.
• Dans tous les membres de son corps. Le Christ a enduré : à la tête les blessures de la couronne d’épines ; aux mains et aux pieds le percement des clous ; au visage les soufflets, les crachats et, sur tout le corps, la flagellation. De plus Il a souffert par tous Ses sens corporels : par le toucher quand Il a été flagellé et cloué à la croix ; par le goût quand on Lui a présenté du fiel et du vinaigre ; par l’odorat quand Il fut suspendu au gibet en ce lieu, appelé Calvaire, rendu fétide par les cadavres des suppliciés ; par l’ouïe, lorsque Ses oreilles furent assaillies de blasphèmes et de railleries ; et enfin par la vue, quand Il vit pleurer Sa mère et le disciple qu’Il aimait.
Dans Sa passion, le Christ a ressenti une douleur réelle et sensible, causée par les supplices corporels ; et une douleur intérieure, la tristesse, produite par la perception de quelque nuisance. L’une et l’autre de ces douleurs, chez le Christ, furent les plus intenses que l’on puisse endurer dans la vie présente. Et cela pour quatre raisons.
• Par rapport aux causes de la douleur. La douleur sensible fut produite par une lésion corporelle. La mort des crucifiés est la plus cruelle : ils sont en effet cloués à des endroits très innervés et extrêmement sensibles, les mains et les pieds. De plus le poids du corps augmente continuellement cette douleur ; et à tout cela s’ajoute la longue durée du supplice, car les crucifiés ne meurent pas immédiatement, comme ceux qui périssent par le glaive. – Quant à la douleur intérieure du cœur, elle avait plusieurs causes ; en premier lieu, tous les péchés du genre humain pour lesquels Il satisfaisait en souffrant, si bien qu’Il les prend à Son compte en parlant dans le Psaume (22, 2) du « cri de mes péchés ». Puis, particulièrement, la chute des juifs et de ceux qui Lui infligèrent la mort, et surtout des disciples qui tombèrent pendant Sa Passion. Enfin, la perte de la vie corporelle, qui par nature fait horreur à la nature humaine.
• On peut mesurer l’intensité de la douleur à la sensibilité de celui qui souffre, dans son âme et dans son corps. Or le corps du Christ était d’une complexion parfaite, puisqu’il avait été formé miraculeusement par l’Esprit Saint. Et c’est ainsi que, chez le Christ, le sens du toucher, dont les perceptions produisent la douleur, était extrêmement délicat. Son âme aussi percevait avec la plus grande acuité, dans ses puissances intérieures, toutes les causes de tristesse.
• L’intensité de la douleur du Christ peut ainsi s’apprécier par la pureté de sa douleur et de sa tristesse. Car chez d’autres êtres souffrants la tristesse intérieure, et même la douleur extérieure sont tempérées par la raison, en vertu de la dérivation ou rejaillissement des puissances supérieures sur les puissances inférieures. Or, chez le Christ souffrant, cela ne s’est pas produit, puisque, à chacune de ses puissances « il permit d’agir selon sa loi propre », dit S. Jean Damascène.
• On peut enfin évaluer l’intensité de la douleur du Christ d’après le fait que Sa souffrance et Sa douleur furent assumées volontairement en vue de cette fin : libérer l’homme du péché.
Toutes ces causes réunies montrent à l’évidence que la douleur du Christ fut la plus grande. Le Christ a voulu délivrer le genre humain du péché, non seulement par Sa puissance, mais encore par Sa justice. C’est ainsi qu’Il a tenu compte, non seulement de la puissance que Sa douleur tirait de l’union à sa Divinité, mais aussi de l’importance qu’elle aurait selon la nature humaine, pour procurer une si totale satisfaction.
Lorsque le Christ était pèlerin sur cette terre, il n’y avait pas rejaillissement de gloire de la partie supérieure de son âme sur la partie inférieure, ni de l’âme sur le corps. Mais, réciproquement, la partie supérieure de l’âme du Christ, n’étant pas entravée dans son opération propre par la partie inférieure, il en résulte qu’elle a joui parfaitement de la vision bienheureuse tandis que le Christ souffrait.
Il convenait au plus haut point que le Christ souffre à Jérusalem.
• Parce que c’était le lieu choisi par Dieu pour qu’on Lui offre des sacrifices. Ces sacrifices figuratifs symbolisaient la passion du Christ, sacrifice véritable.
• La vertu de Sa passion devant se répandre dans le monde entier, le Christ a voulu souffrir au centre de la terre habitable, à Jérusalem.
• Ce lieu convenait au plus haut point à l’humilité du Christ, Lui qui avait choisi le genre de mort le plus honteux, Il ne devait pas refuser de souffrir la honte dans un lieu aussi fréquenté.
• Il a voulu mourir à Jérusalem où résidaient les chefs du peuple juif pour montrer qu’ils étaient responsables de l’iniquité commise par ses meurtriers.
Le Christ a souffert non pas dans le Temple ou dans la ville, mais hors des portes, pour trois raisons.
• Pour que la réalité réponde à la figure. Car le taureau et le bouc, offerts dans le sacrifice le plus solennel pour l’expiation de tout le peuple, étaient brûlés hors du camp, selon la prescription du Lévitique (16, 27). Aussi lit-on dans l’épître aux Hébreux (13, 17) : « Les animaux dont le sang est porté par le grand prêtre dans le sanctuaire ont leur corps brûlé hors du camp. Et c’est pour cela que Jésus, afin de sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte. »
• Afin de nous enseigner à quitter la vie du monde. On lit donc au même endroit : « Pour aller au Christ, sortons hors du camp en portant son opprobre. »
• D’après S. Jean Chrysostome : « Le Seigneur n’a pas voulu souffrir sous un toit ni dans le Temple juif pour empêcher les juifs d’accaparer ce sacrifice du salut en faisant croire qu’il avait été offert seulement pour leur peuple. Aussi a-t-il souffert hors de la ville, hors des remparts, pour vous faire savoir que ce sacrifice a été offert. »
Ambroise nous dit : « La passion du Seigneur a des imitateurs, elle n’a pas d’égaux. » C’est une prophétie d’Isaïe (53, 12) : « Il a été compté parmi les criminels. » Ils crucifièrent deux bandits de part et d’autre, pour Lui faire partager leur honte. Par rapport au plan Divin, le Christ a été crucifié avec des bandits pour trois raisons.
• D’après S. Jérôme, « de même que pour nous le Christ s’est fait malédiction sur la croix, Il a été crucifié comme un criminel entre des criminels pour le salut de tous ».
• Selon S. Léon, « deux bandits furent crucifiés, l’un à Sa droite, l’autre à Sa gauche, pour que même le spectacle du gibet montre la séparation qui sera opérée entre tous les hommes au jour du jugement par le Christ ». Et S. Augustin dit aussi : « Si vous faites attention, la croix elle-même est un tribunal ; le juge en effet siégeait au milieu, l’un des voleurs qui a cru a été libéré, l’autre qui a outragé le Seigneur a été condamné. Il manifestait déjà ce qu’il ferait un jour à l’égard des vivants et des morts en plaçant les uns à Sa droite et les autres à Sa gauche. »
• Selon S. Hilaire, « à Sa droite et à Sa gauche sont crucifiés deux bandits qui montrent que la totalité du genre humain est appelée au mystère de la passion du Seigneur. Le partage des fidèles et des infidèles se fait entre la droite et la gauche ; aussi le bandit placé à droite est-il sauvé par la justification de la foi ».
• Selon S. Bède, « les bandits crucifiés avec le Seigneur représentent ceux qui sous la foi et la confession du Christ subissent le combat du martyre ou embrassent une forme de vie plus austère. Ceux qui agissent pour la gloire éternelle sont figurés par le bandit de droite ; mais ceux qui agissent pour recevoir la louange des hommes imitent le bandit de gauche dans son esprit et dans ses actes ».
Le Christ a voulu être compté avec des gens iniques afin de détruire l’iniquité par Sa puissance. Aussi S. Jean Chrysostome dit-il : « Convertir le bandit sur la croix et l’introduire en paradis, ce ne fut pas une œuvre moins grande que de briser les rochers. »
Il est de la plus haute convenance que le Christ ait souffert par obéissance.
• Parce que cela convenait à la justification des hommes : « De même que par la désobéissance d’un seul, beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, beaucoup sont constitués justes » (Rm 5, 19).
• Cela convenait à la réconciliation de Dieu avec les hommes. « Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de Son Fils” (Rm 5, 10), c’est-à-dire en tant que la mort du Christ fut elle-même un sacrifice très agréable à Dieu : « Il s’est livré Lui-même à Dieu pour nous en oblation et en sacrifice d’agréable odeur » (Ep 5, 2). Or l’obéissance est préférée à tous les sacrifices d’après l’Écriture (1 S 15, 22) : « L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. » Aussi convenait-il que le sacrifice de la passion du Christ eût sa source dans l’obéissance.
• Cela convenait à la victoire par laquelle Il triompha de la mort et de l’auteur de la mort.
Il y a la parole de S. Paul (1 Co 2, 8) : « S’ils L’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire », et celle-ci de S. Pierre aux Juifs (Ac 3, 17) : « je sais que vous avez agi par ignorance, comme vos chefs » et le Seigneur sur la Croix demande (Lc 23, 34) : « Père, pardonnez- leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Chez les Juifs, il y avait les grands et les petits. Les grands, qui étaient leurs chefs, comme dit un auteur ont su « qu’Il était le Messie promis dans la loi ; car ils voyaient en Lui tous les signes annoncés par les prophètes ; mais ils ignoraient le mystère de Sa Divinité ». Et c’est pourquoi S. Paul dit : « S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire.” Il faut cependant remarquer que leur ignorance n’excusait pas leur crime, puisque c’était en quelque manière une ignorance volontaire. En effet, ils voyaient les signes évidents de Sa Divinité ; mais par haine et jalousie, ils les prenaient en mauvaise part, et ils refusèrent de croire aux paroles par lesquelles Il Se révélait comme le Fils de Dieu. Aussi dit-Il Lui-même à leur sujet (Jn 15, 22) : « Si Je n’étais pas venu, et si Je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché. » Et il ajoute : « Si je n’avais fait parmi eux les oeuvres que personne d’autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché. » On peut donc leur appliquer ce texte (Job 21, 14) : « Ils ont dit à Dieu : « Éloignez-Vous de nous, nous ne voulons pas connaître Vos chemins ». » Quant aux petits, c’est-à-dire les gens du peuple, qui ne connaissaient pas les mystères de l’Écriture, ils ne connurent pleinement ni qu’il était le Messie, ni qu’il était le Fils de Dieu.
Cela montre que, voyant les œuvres admirables du Christ, ce fut par haine que les juifs ne Le reconnurent pas comme le Fils de Dieu. L’ignorance volontaire n’excuse pas la faute, mais l’aggrave plutôt ; car elle prouve que l’on veut si violemment accomplir le péché que l’on préfère demeurer dans l’ignorance pour ne pas éviter le péché, et c’est pourquoi les Juifs ont péché comme ayant crucifié le Christ non seulement comme homme, mais comme Dieu.
Les chefs des juifs ont connu le Christ, et s’il y a eu chez eux de l’ignorance, elle fut volontaire et ne peut les excuser. C’est pourquoi leur péché fut le plus grave, que l’on considère le genre de leur péché ou la malice de leur volonté.
Quant aux « petits », aux gens du peuple, ils ont péché très gravement, si l’on regarde le genre de leur péché, mais celui-ci est atténué quelque peu à cause de leur ignorance.
Beaucoup plus excusable fut le péché des païens qui L’ont crucifié de leurs mains, parce qu’ils n’avaient pas la science de la loi.
Le Christ, en souffrant, a parfaitement satisfait pour nos péchés. Or le Christ, en souffrant par charité et par obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grand que ne l’exigeait la compensation de toutes les offenses du genre humain :
• à cause de la grandeur de la charité en vertu de laquelle Il souffrait ;
• à cause de la dignité de la vie qu’Il donnait comme satisfaction, parce que c’était la vie de Celui Qui était Dieu et homme ;
• à cause de l’universalité de Ses souffrances et de l’acuité de Sa douleur. Et c’est pourquoi la passion du Christ a été une satisfaction non seulement suffisante, mais surabondante pour les péchés du genre humain, selon S. Jean (1 Jn 2, 2) : « Il est Lui-même propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier ».
La charité du Christ souffrant a surpassé la malice de ceux qui L’ont crucifié ; aussi la satisfaction offerte par le Christ dans Sa passion a-t-elle été plus grande que l’offense que Ses meurtriers ont commise en le tuant. C’est au point que la passion du Christ a été une satisfaction suffisante et même surabondante pour les péchés de Ses meurtriers. La dignité de la chair du Christ n’est pas à estimer seulement d’après la nature de cette chair, mais aussi d’après la Personne qui l’a prise. En tant qu’elle était la chair de Dieu elle possédait une dignité infinie.
Par le péché l’homme avait contracté une double obligation.
• Celle de l’esclavage du péché, car « celui qui pèche est esclave du péché » (Jn 8, 35), et « on est esclave de celui par qui on s’est laissé vaincre » (2 P 2, 19). Donc, parce que le démon avait vaincu l’homme en l’induisant à pécher, l’homme était soumis à l’esclavage du démon.
• Quant à la responsabilité de la peine, l’homme était débiteur envers la justice Divine. Et c’est là aussi un esclavage, car c’est un esclavage, que de subir ce qu’on ne veut pas, alors que l’homme libre dispose de lui-même comme il veut. Donc, parce que la passion du Christ a été une satisfaction adéquate et surabondante pour le péché et pour la peine due par le genre humain, Sa passion a été comme une rançon par laquelle nous avons été libérés de cette double obligation. Et voilà pourquoi on dit que la passion du Christ est notre rachat et notre rédemption.
L’homme appartient à Dieu de deux manières :
• En tant qu’il est soumis à Sa puissance. Et sous ce rapport, l’homme n’a jamais cessé d’appartenir à Dieu.
• L’homme appartient à Dieu en Lui étant uni par la charité.
De la première manière, l’homme n’a jamais cessé d’être à Dieu. De la deuxième manière, il l’a cessé par le péché. Et c’est pourquoi, en tant qu’il a été libéré par le Christ qui satisfaisait en souffrant pour lui, on dit qu’il a été racheté par la passion du Christ. En péchant, l’homme avait contracté une obligation envers Dieu et envers le démon.
Quant à la faute, il avait offensé Dieu et s’était soumis au démon, en lui cédant. Aussi, en raison de la faute, il n’était pas devenu l’esclave de Dieu, mais il s’était plutôt écarté de son service et il était tombé sous la servitude du démon, Dieu le permettant avec justice à cause de l’offense commise contre Lui. Mais quant à la peine, c’est envers Dieu que l’homme s’était lié, comme envers son souverain juge ; et envers le démon comme envers son bourreau. Si le démon gardait injustement sous son esclavage autant qu’il était en lui, l’homme trompé par sa ruse et quant à la faute et quant à la peine, il était juste cependant que l’homme souffre cela, car Dieu avait permis quant à la faute, et l’avait prescrit quant à la peine. Voilà pourquoi la justice exigeait par rapport à Dieu que l’homme soit racheté.
Il est propre au Christ, en tant qu’homme, d’être le Rédempteur d’une manière immédiate, mais la rédemption elle-même peut être attribuée à la Trinité comme à sa cause première.
La vertu de Dieu produit notre salut par efficience. Il y a une double cause efficiente principale et instrumentale. La cause efficiente principale du salut des hommes est Dieu. Mais l’humanité du Christ, étant l’instrument de Sa Divinité, il s’ensuit que toutes les actions et souffrances du Christ agissent instrumentalement, en vertu de la Divinité, pour le salut des hommes. A ce titre, la passion du Christ cause le salut des hommes par efficience.
Il est écrit dans l’Apocalypse (1, 5) : « Il nous a aimés et Il nous a lavés de nos péchés dans Son Sang. » La passion du Christ est la cause propre de la rémission des péchés de trois manières.
• Par mode d’excitation à la charité : « Ses nombreux péchés lui ont été remis parce qu’elle a beaucoup aimé. »
• Par mode de rédemption. En effet, le Christ est notre tête. Par la passion qu’Il a subie en vertu de Son obéissance et de Son amour, Il nous a délivrés de nos péchés, nous qui sommes Ses membres, comme si Sa passion était le prix de notre rachat. C’est comme si un homme, au moyen d’une oeuvre méritoire accomplie par sa main, se rachetait du péché commis par ses pieds. Car, de même que le corps naturel est un, alors qu’il consiste en membres divers, l’Église tout entière, corps mystique du Christ, est comptée pour une seule personne avec sa tête, qui est le Christ.
• Par mode d’efficience. La chair dans laquelle le Christ a souffert Sa passion est l’instrument de Sa Divinité, et c’est en raison de Sa Divinité que Ses souffrances et Ses actions agissent dans la vertu Divine, en vue de chasser le péché.
Par Sa passion le Christ nous a délivrés de nos péchés par mode de causalité : elle institue en effet la cause de notre libération, cause par laquelle peuvent être remis, à tout moment, n’importe quels péchés, présents ou futurs ; comme un médecin qui ferait un remède capable de guérir n’importe quelle maladie, même dans l’avenir. La passion du Christ est comme la cause préalable de la rémission des péchés. Il est pourtant nécessaire qu’on l’applique à chacun, pour que ses propres péchés soient effacés. Cela se fait par le Baptême, la pénitence et les autres sacrements, qui tiennent leur vertu de la passion du Christ.
Au sujet du pouvoir que le diable exerçait sur les hommes avant la passion du Christ, trois points de vue entrent en ligne de compte.
• Celui de l’homme qui, par son péché, a mérité d’être livré au pouvoir du péché, dont la tentation l’avait dominé.
• Celui de Dieu que l’homme avait offensé en péchant, et qui en vertu de la justice l’avait abandonné au pouvoir du diable.
• Celui du démon qui, par sa volonté très perverse, empêchait l’homme d’atteindre son salut.
• L’homme a été délivré du pouvoir du démon par la passion du Christ en tant que celle-ci est cause de la rémission des péchés.
• Elle nous a délivrés du pouvoir du démon en tant qu’elle nous a réconciliés avec Dieu.
• Elle nous a délivrés du pouvoir du démon en tant que celui-ci a dépassé la mesure du pouvoir que Dieu lui avait accordé, en complotant la mort du Christ, qui n’avait pas mérité la mort, puisqu’Il était sans péché.
On ne dit pas que le démon a eu pouvoir sur les hommes au point qu’il aurait pu leur nuire sans la permission de Dieu. Mais il lui était permis en toute justice de nuire aux hommes qu’il avait amenés, en les tentant, à lui obéir. Encore maintenant le démon peut, avec la permission de Dieu, tenter les hommes dans leurs âmes, et les tourmenter dans leurs corps ; cependant ils trouvent dans la passion du Christ un remède préparé pour qu’ils se protègent contre les assauts de l’ennemi en évitant d’être entraînés dans le désastre de la mort éternelle. Avant la passion du Christ, tous ceux qui résistaient au démon le pouvaient grâce à leur foi en la passion du Christ, quoique cette passion ne fût pas accomplie.
Par la passion du Christ nous avons été libérés de l’obligation de la peine de deux manières.
• Directement : la passion du Christ a été une satisfaction adéquate et surabondante pour les péchés de tout le genre humain. Or, dès que la satisfaction adéquate est fournie, l’obligation de la peine est enlevée.
• Indirectement : la passion du Christ est la cause de la rémission du péché, sur lequel se fonde l’obligation de la peine.
La passion du Christ obtient son effet sur ceux à qui elle est appliquée par la foi et la charité, et par les sacrements de la foi. Et c’est pourquoi les damnés en enfer, qui ne sont pas unis de cette manière à la passion du Christ, ne peuvent percevoir ses effets. Si la satisfaction du Christ a ses effets en nous, c’est en tant que nous sommes incorporés au Christ, comme les membres à leur tête. La passion du Christ a été plus puissante pour réconcilier Dieu avec tout le genre humain que pour provoquer sa colère. Or, par la passion du Christ non seulement nous avons été délivrés du péché commun à toute la nature humaine et quant à la faute, et quant à l’obligation de la peine, Lui-même en payant le prix à notre place ; mais encore nous sommes délivrés des péchés individuels de chacun de ceux qui communient à Sa passion par la foi et la charité, et par les sacrements de la foi.
Il est écrit (Ph 2, 8) « Le Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix ; et c’est pourquoi Dieu L’a exalté. » Or le Christ, dans Sa passion, S’est abaissé au-dessous de Sa dignité, de quatre manières :
• Quant à Sa passion et à Sa mort, qui ne Lui étaient pas dues.
• Quant au lieu, car Son corps a été déposé dans le sépulcre, et Son âme est descendue aux enfers.
• Quant à la confusion et aux opprobres qu’Il a subis.
• Quant au fait qu’Il a été livré à un pouvoir humain, selon ce qu’il dit à Pilate (Jn 19, 4) : « Vous n’auriez aucun pouvoir sur Moi, s’il ne vous avait été donné d’en haut. »
Et c’est pourquoi, par Sa passion, le Christ a mérité d’être exalté dans la gloire, de quatre manières également :
• Quant à Sa résurrection glorieuse.
• Quant à Son ascension au ciel.
• Quant à Sa session à la droite du Père et à la manifestation de sa propre Divinité.
• Quant au pouvoir judiciaire.
Par Ses mérites antérieurs, le Christ a mérité l’exaltation glorieuse de Son âme, dont la volonté était informée par la charité et les autres vertus. Mais, dans Sa passion, Il a mérité l’exaltation glorieuse de Son corps par mode de récompense.
Il convenait au Christ de mourir pour cinq raisons :
• Satisfaire pour le genre humain qui était condamné à la mort à cause du péché.
• Prouver la réalité de la nature qu’Il avait prise.
• Nous délivrer, en mourant, de la crainte de la mort.
• Nous donner l’exemple, en mourant corporellement à la « similitude du péché », c’est-à-dire à la pénalité, de mourir spirituellement au péché.
• Montrer, en ressuscitant des morts, la vertu par laquelle Il a triomphé de la mort, et nous inculquer l’espoir de ressusciter des morts.
On peut se trouver dans un lieu de deux manières :
• D’abord, par l’effet qu’on y produit. De cette manière, le Christ est descendu dans chacun des enfers ; mais de façon différente. Car, dans l’enfer des damnés, Il est descendu pour les confondre de leur incrédulité et de leur malice. A ceux qui étaient détenus dans le purgatoire, Il a donné l’espoir d’obtenir la gloire ; quant aux saints patriarches qui étaient retenus dans les enfers à cause du seul péché originel, Il leur a donné la lumière de la gloire éternelle.
• En second lieu par Son essence, et de cette manière l’âme du Christ n’est descendue que dans les enfers où les justes étaient retenus, afin de visiter aussi, dans leur lieu même et par son âme, ceux qu’Il visitait intérieurement par Sa Divinité en leur accordant Sa grâce. Sa descente aux enfers n’a apporté le fruit de la délivrance qu’à ceux qui avaient été unis à la passion du Christ par la foi jointe à la charité, qui en est la forme et qui enlève les péchés. Or, ceux qui se trouvaient dans l’enfer des damnés ou bien n’avaient possédé la foi d’aucune manière, comme les infidèles, ou bien, s’ils avaient possédé la foi, n’avaient eu aucune conformité avec la charité du Christ souffrant. Ils n’avaient donc pas été purifiés de leurs péchés. Telle est la raison pour laquelle la descente du Christ aux enfers ne leur a pas apporté la délivrance de leur obligation à la peine de l’enfer.
Les enfants qui étaient morts avec le seul péché originel n’avaient participé d’aucune manière à la foi dans le Christ. Ils n’ont donc pas perçu le fruit de la propitiation du Christ, en vue d’être délivrés par Lui de l’enfer. La descente du Christ aux enfers n’a apporté la délivrance qu’à ceux qui étaient unis par la foi et la charité à sa passion ; c’est en effet par elle seulement que la descente du Christ était libératrice. Or, les enfants qui étaient morts avec le péché originel n’étaient nullement unis à la passion du Christ par la foi et par l’amour. La foi, ils n’avaient pu l’avoir en propre, puisqu’ils n’avaient pas eu l’usage de leur libre arbitre ; et ils n’avaient pas non plus été purifiés du péché originel par la foi de leurs parents, ni par quelque sacrement de la foi. C’est pour cela que la descente du Christ aux enfers n’a pas délivré les enfants qui s’y trouvaient.
La grâce du Christ parvient seulement à ceux qui sont devenus ses membres par une régénération spirituelle. Ce qui n’est pas le cas des enfants morts avec le péché originel. La passion n’était satisfactoire qu’en général ; sa vertu devait être appliquée aux hommes par des moyens particuliers et spéciaux à chacun d’entre eux. Il n’était donc pas nécessaire que la descente du Christ aux enfers les libère tous du purgatoire.
Qu’il ait été nécessaire que le Christ ressuscite, on peut en donner cinq raisons :
• La glorification de la justice Divine.
• L’instruction de notre foi.
• Le relèvement de notre espérance.
• La formation morale des fidèles. Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; de même vous, croyez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu.
• L’achèvement de notre salut.
C’est par un dessein providentiel que dans le Christ la gloire n’a pas rejailli de l’âme sur le corps, afin qu’Il accomplisse par Sa passion le mystère de notre rédemption. C’est pourquoi, lorsque ce mystère de la passion et de la mort du Christ fut accompli, aussitôt l’âme fit rejaillir sa gloire sur le corps qu’elle avait repris à la résurrection ; et c’est ainsi que le corps est devenu glorieux.
Tout ce qui est reçu dans un sujet l’est selon le mode de ce sujet. C’est par ce qu’Il tenait de nous que le Fils de Dieu a été suspendu à la croix, mais c’est par ce qu’Il tenait de Lui qu’Il est monté aux Cieux. La sagesse sert à établir le jugement. Le Fils étant la « Sagesse engendrée », la Vérité qui procède du Père et le représente parfaitement, il s’ensuit que le pouvoir judiciaire est attribué en propre au Fils de Dieu.
Le Christ, même dans Sa nature humaine, est le chef de l’Église tout entière, et Dieu a mis toutes choses sous Ses pieds. Il lui appartient donc, même dans sa nature humaine, d’avoir le pouvoir judiciaire. Ce pouvoir, le Christ le possède en vertu de la grâce capitale qu’Il a reçue dans Sa nature humaine. Et voilà la raison pour laquelle Dieu n’a remis à aucun autre le gouvernement de la terre. Car c’est un seul et même être qu’Il est à la fois Dieu et homme : le Seigneur Jésus Christ.
On appelle Sacrement à proprement parler ce qui est ordonné à signifier notre sanctification. Or on peut distinguer trois aspects de notre sanctification : sa cause proprement dite, qui est la passion du Christ ; sa forme, qui consiste dans la grâce et les vertus ; sa fin ultime, qui est la vie éternelle. Les Sacrements signifient tout cela. Un Sacrement est donc un signe qui remémore la cause passée, la passion du Christ ; manifeste l’effet de cette Passion en nous, la grâce ; et qui prédit la gloire future.
Dans tout ce qui est composé de matière et de forme, le principe de détermination est du côté de la forme la cause finale, si elle ne vient pas la première dans le temps, est première dans l’intention de celui qui agit. La grâce n’est pas autre chose qu’une certaine ressemblance de la nature divine reçue en participation. Les Sacrements de l’Église tiennent spécialement leur vertu de la passion du Christ ; c’est la réception des Sacrements qui nous met en communication avec la vertu de la passion du Christ. L’eau et le sang jaillis du côté du Christ en croix symbolisent cette vérité, l’eau se rapporte au Baptême et le sang à l’Eucharistie, car ce sont les Sacrements les plus importants. La grâce était donc conférée dans la circoncision en tant qu’elle était signe de la passion future du Christ. Le fidèle est député à deux choses. D’abord et à titre principal à la jouissance de la gloire, et pour cela, il est marqué du sceau de la grâce.
Chaque fidèle est député à recevoir ou à donner aux autres ce qui concerne le culte de Dieu ; et c’est là le rôle propre du caractère sacramentel. Le caractère des fidèles est ce qui distingue les fidèles du Christ d’avec les esclaves du démon, soit en vue de la vie éternelle, soit en vue du culte de l’Église présente ; le premier rôle est rempli par la charité et la grâce – c’est ce que démontre l’objection – le second, par le caractère sacramentel.
Le caractère est donc indélébile en l’âme, non en raison de sa perfection propre, mais en raison de la perfection possédée par le sacerdoce du Christ dont il procède à titre de vertu instrumentale. Ce qui est proprement l’effet du Sacrement n’est pas obtenu par la prière de l’Église ou du ministre, mais par le mérite de la passion du Christ, dont la vertu agit dans les Sacrements. Les Apôtres et leurs successeurs sont les vicaires de Dieu pour le gouvernement de cette Église qui est constituée par la foi et les Sacrements de la foi. Aussi, de même qu’ils ne peuvent constituer une autre Église, ils ne peuvent transmettre une autre foi, ni instituer d’autres Sacrements ; c’est « par les Sacrements qui coulèrent du côté du Christ crucifié » que l’Église du Christ a été constituée.
Le Christ produit l’effet intérieur des Sacrements en tant qu’Il est Dieu et en tant qu’Il est homme. Son humanité est l’instrument de sa divinité C’est pourquoi, de même que le Christ, en tant que Dieu, a un pouvoir souverain sur les Sacrements, de même, en tant qu’homme, Il a un pouvoir de ministre principal, ou pouvoir d’excellence. Ce pouvoir consiste en quatre prérogatives :
• C’est le mérite et la vertu de Sa passion qui agissent dans les Sacrements.
• C’est par la foi que nous entrons en communication avec la vertu de sa passion.
• C’est de leur institution par le Christ qu’ils tiennent leur vertu. Il appartient donc à l’excellence du pouvoir du Christ que celui qui a donné aux Sacrements leur vertu ait pu les instituer.
• Comme la cause ne dépend pas de son effet, mais bien plutôt l’effet de sa cause, il appartient à l’excellence du pouvoir du Christ qu’Il ait pu produire l’effet des Sacrements sans accomplir le rite sacramentel extérieur.
Le Christ avait un double pouvoir sur les Sacrements :
• un pouvoir souverain qui lui appartient en tant qu’Il est Dieu. Et ce pouvoir ne pouvait être communiqué à aucune créature, pas plus que l’essence divine.
• Il avait un autre pouvoir, celui d’excellence, qui Lui appartient en tant qu’Il est homme. Ce pouvoir-là, Il pouvait le communiquer à des ministres. Ainsi est-il indifférent que le corps du médecin soit sain ou malade, car il n’est que l’instrument de l’âme en qui réside l’art médical ; peu importe que le conduit par où l’eau passe soit, en argent ou en plomb. Aussi les ministres de l’Église peuvent-ils conférer les Sacrements, même s’ils sont mauvais.
Le ministre du Sacrement agit comme représentant de l’Église tout entière dont il est le ministre ; les paroles qu’il prononce expriment l’intention de l’Église, qui suffit pleinement à l’accomplissement du Sacrement, pourvu que ni le ministre ni le sujet ne manifestent extérieurement une intention contraire.
De même que la charité du ministre n’est pas requise pour l’accomplissement du Sacrement, puisque les pécheurs peuvent administrer les Sacrements, la foi n’est pas davantage requise ; et un infidèle peut procurer un vrai Sacrement du moment que toutes les autres conditions nécessaires sont réalisées.
La hiérarchie a trois actions : purifier, illuminer et parfaire. Les Sacrements de l’Église ont un double objet : perfectionner l’homme en ce qui concerne le culte divin réglé par la religion de la vie chrétienne, et présenter un remède contre le mal du péché.
D’une façon essentielle et directe, la vie corporelle atteint son achèvement selon trois modes :
• Par la génération qui inaugure l’existence et la vie de l’homme ; ce qui en tient lieu dans sa vie spirituelle, c’est le Baptême.
• Par la croissance qui fait atteindre à l’homme sa taille et sa force parfaites ; ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est la Confirmation.
• Par la nutrition, qui conserve dans l’homme la vie et la force ; ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est l’Eucharistie. Comme dit Notre Seigneur en S. Jean (6, 54) : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme et si vous ne buvez Son Sang, vous n’aurez pas la vie en vous. »
Et ce serait suffisant si l’homme avait, au corporel et au spirituel, une vie qui ne souffre aucune atteinte. Mais, comme il est sujet à l’infirmité corporelle et à l’infirmité spirituelle, qui est le péché, il lui faut un traitement contre cette infirmité.
Celui-ci est double :
• il y a cette guérison qui rend la santé, et ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est la Pénitence;
• et il y a ce rétablissement de la vigueur première qu’on obtient par un régime et un exercice appropriés ; ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est l’Extrême-Onction qui enlève les séquelles du péché et rend l’homme prêt pour la gloire finale.
Relativement à toute la communauté, l’homme est perfectionné de deux façons :
• D’abord, du fait qu’il reçoit le pouvoir de gouverner la multitude et d’exercer des fonctions publiques. Ce qui correspond à cela dans la vie spirituelle, c’est le Sacrement de l’Ordre.
• Ensuite, à l’égard de la propagation de l’espèce, l’homme est perfectionné par le Mariage tant dans la vie corporelle que dans la vie spirituelle, du fait que ce n’est pas là seulement un Sacrement, mais d’abord un office naturel.
C’est encore ainsi que se justifie le nombre des Sacrements, selon qu’ils sont dirigés contre le défaut du péché ;
• le Baptême est dirigé contre le manque de vie spirituelle ;
• la Confirmation contre la faiblesse de l’âme qui se trouve chez les nouveau-nés ;
• l’Eucharistie contre la fragilité de l’âme en face du péché ;
• la Pénitence contre le péché actuel commis après le Baptême ;
• l’Extrême-Onction contre les séquelles du péché qui n’ont pas été suffisamment enlevées par la pénitence, du fait de la négligence ou de l’ignorance ;
• l’Ordre contre la désorganisation de la multitude ;
• le Mariage est un remède à la fois contre la convoitise personnelle et contre la diminution de la multitude causée par la mort.
Selon ces théologiens :
• à la foi correspond le Baptême, dirigé contre la faute originelle ;
• à l’espérance, l’extrême-onction dirigée contre la faute vénielle ;
• à la charité, l’eucharistie dirigée contre la blessure de malice ;
• à la prudence, l’ordre dirigé contre la blessure d’ignorance ;
• à la justice, la pénitence dirigée contre le péché mortel ;
• à la tempérance, le mariage dirigé contre la convoitise ;
• à la force, la confirmation dirigée contre la blessure de faiblesse.
Quant aux actions, elles consistent à purifier, illuminer et perfectionner.
Dans le Baptême, trois choses sont à considérer :
• ce qui est seulement signe (sacramentum tantum = signe),
• ce qui est à la fois réalité et signe (res et sacramentum = caractère) ;
• ce qui est seulement réalité (res tantum = grâce). Ce qui n’est que sacrement, est quelque chose de visible et d’extérieur, signe d’un effet intérieur. Quant à ce qui est à la fois réalité et sacrement, c’est le caractère baptismal.
Si le caractère demeure et ne peut être effacé, la justification intérieure demeure et peut se perdre. L’obligation de recevoir ce sacrement ne fut imposée aux hommes qu’après la Passion et la résurrection.
Au passage de l’épître aux Hébreux sur « la doctrine des Baptêmes », la Glose ajoute : « L’auteur emploie le pluriel, car il y a le Baptême d’eau, le Baptême de pénitence et le Baptême de sang. » Aussi, en dehors du Baptême d’eau, on peut recevoir l’effet du Sacrement de la passion du Christ en tant qu’on se conforme à Lui en souffrant pour Lui.
Pour la même raison, on peut aussi recevoir l’effet du Baptême par la vertu du Saint- Esprit, non seulement sans le Baptême d’eau, mais même sans le Baptême de sang: quand le coeur est mû par le Saint-Esprit à croire en Dieu et à se repentir de son péché. C’est pourquoi on dit aussi « Baptême de pénitence ».
Ces deux autres Baptêmes sont donc appelés Baptêmes parce qu’ils suppléent au Baptême. Ce n’est pas seulement la souffrance subie pour le nom du Christ qui peut suppléer au défaut de Baptême, mais aussi la foi et la conversion du coeur, si le manque de temps empêche de célébrer le mystère du Baptême.
On lit en S. Jean (3, 5) « Si l’on ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, on ne peut entrer dans le Royaume de Dieu », et dans le livre des Croyances ecclésiastiques : « Nous croyons qu’il n’y a de chemin de salut que pour les baptisés. » Or il est évident que nul ne peut trouver le salut que par le Christ ; tous sont tenus au Baptême, et que sans lui il ne saurait y avoir de salut pour les hommes.
Jamais les hommes ne purent être sauvés, même avant la venue du Christ, s’ils ne devenaient membres du Christ, car « il n’y a aucun autre Nom qui ait été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12). Avant la venue du Christ les hommes étaient incorporés au Christ par la foi à Sa venue future, foi dont le « sceau » était la circoncision (Rm 4, 11).
Mais depuis la venue du Christ, c’est encore par la foi que les hommes sont incorporés au Christ (Ep 3, 17). Ainsi, bien que le sacrement de Baptême lui-même n’ait pas toujours été nécessaire au salut, la foi, dont le Baptême est le Sacrement, a toujours été indispensable.
Personne ne donne ce qu’il n’a pas. Celui-là, sans avoir reçu de fait le Baptême, peut parvenir au salut, à cause du désir du Baptême, qui procède de la foi « qui agit par la charité », et par laquelle Dieu, dont la puissance n’est pas liée aux sacrements visibles, sanctifie intérieurement l’homme. Ainsi S. Ambroise dit-il de Valentinien qui mourut catéchumène : « Celui que je devais régénérer, je l’ai perdu, mais lui n’a pas perdu la grâce qu’il avait demandée. » L’intention de l’Église est de baptiser les hommes pour les purifier de leurs péchés, selon la parole d’Isaïe (27, 9) : « Tout le fruit, c’est le pardon de leurs péchés. » Aussi elle ne veut, pour ce qui est d’elle, donner le Baptême qu’à ceux qui ont la vraie foi, sans laquelle il n’y a pas de rémission des péchés. Aussi interroge-t-elle ceux qui viennent au Baptême, pour leur demander s’ils croient.
Mais si quelqu’un reçoit le Baptême en dehors de l’Église et sans avoir la vraie foi, le sacrement n’est pas utile à son salut. Bien qu’un assassin soit par le Baptême libéré de toute peine devant Dieu, il demeure cependant lié devant les hommes, qu’il doit édifier en subissant son châtiment comme il les a scandalisés par sa faute. Cependant le prince pourrait par miséricorde lui remettre sa peine. Le péché originel s’est répandu de telle façon que c’est d’abord la personne qui a infecté la nature, puis la nature qui a infecté la personne. Le Christ à l’inverse répare d’abord ce qui appartient à la personne, puis plus tard et chez tous en même temps, il réparera ce qui appartient à la nature.
Ainsi la coulpe du péché originel, et même la peine de la privation de la vision de Dieu, qui concernent la personne, sont aussitôt remises par le Baptême. Mais les peines de la vie présente, comme la mort, la faim, la soif et le reste, concernent la nature, parce qu’elles dérivent des principes qui la constituent en tant qu’elle est déchue de la justice originelle. C’est pourquoi ces défauts ne disparaîtront que dans l’ultime réparation de la nature par la résurrection glorieuse.
Le Baptême retrouve son efficacité salutaire, lorsqu’une confession sincère fait disparaître cette fiction qui, aussi longtemps que le coeur persévérait dans la malice et le sacrilège, empêchait l’ablution des péchés. Immédiatement après le péché du premier homme, la science personnelle d’Adam, qui avait été plus parfaitement instruit des choses de Dieu, maintenait assez de foi et de raison naturelle chez l’homme pour qu’il ne soit pas nécessaire d’instituer pour les hommes des signes de la foi et du salut, et chacun témoignait de sa foi à sa guise par des signes qui la manifestaient.
Mais à l’époque d’Abraham la foi avait diminué, et beaucoup d’hommes inclinaient à l’idolâtrie. De plus, la raison naturelle avait été obscurcie par les progrès de la convoitise, jusqu’à commettre des péchés contre nature. La circoncision conférait la grâce avec tous ses effets, mais autrement que ne fait le Baptême. Le Baptême, au contraire de la circoncision, opère comme un instrument en vertu de la passion du Christ. Le Baptême imprime un caractère qui nous incorpore au Christ, et il donne une grâce plus abondante que la circoncision, car une réalité présente est plus efficace qu’une simple espérance. Quiconque veut accomplir sagement une oeuvre, commence par écarter les obstacles qui s’y opposent
La puissance divine n’est pas liée aux sacrements. Un homme peut donc, sans le sacrement de Confirmation, recevoir la force spirituelle pour confesser publiquement la foi du Christ, comme on peut recevoir la rémission des péchés sans le Baptême.
Cependant, comme personne ne reçoit l’effet du Baptême sans le désir du Baptême, personne non plus ne reçoit l’effet de la Confirmation sans le désir de celle-ci ; et cela, on peut l’avoir avant d’être baptisé. Le sacrement de Confirmation est l’ultime consommation du Baptême.
Ce Sacrement a une triple signification :
• La première à l’égard du passé, en tant qu’il commémore la passion du Seigneur, qui fut un véritable sacrifice ; et à ce point de vue il est appelé un sacrifice.
• Il a une deuxième signification à l’égard de la réalité présente, qui est l’unité ecclésiale à laquelle les hommes s’agrègent par ce Sacrement ; et à ce titre on l’appelle communion.
• Ce Sacrement a une troisième signification à l’égard de l’avenir, en tant qu’il préfigure la jouissance de Dieu dans la patrie. A ce titre, il est appelé viatique parce qu’il nous donne ici-bas la voie pour y parvenir ; à ce titre encore il est appelé Eucharistie, c’est-à-dire bonne grâce.
Ce Sacrement est appelé sacrifice en tant qu’il représente la passion même du Christ, et il est appelé hostie en tant qu’il contient le Christ Lui-même, Qui est une victime salutaire.
Dans ce Sacrement, nous pouvons considérer trois choses :
• ce qui est Sacrement seul (signe), et c’est le pain et le vin ;
• ce qui est réalité et Sacrement (caractère), et c’est le véritable Corps du Christ ;
• et ce qui est réalité seule (grâce) : c’est l’effet de ce Sacrement.
Le Christ a institué ce Sacrement sous l’espèce du pain et du vin, comme on le voit au chapitre 26 de S. Matthieu. Donc le pain et le vin sont la matière idoine de ce Sacrement. Et cela s’explique :
• Quant à l’usage de ce Sacrement, qui consiste en sa manducation. De même qu’on prend de l’eau, dans le Sacrement de Baptême où l’on pratique une ablution de l’âme, parce que les ablutions du corps se font généralement avec de l’eau ; de même dans ce Sacrement, où l’on pratique une manducation spirituelle, on prend du pain et du vin qui sont les aliments habituels de l’homme.
• Quant à la passion du Christ, dans laquelle le Sang est séparé du Corps ; c’est pourquoi, dans ce Sacrement qui est le mémorial de la passion du Seigneur, on prend séparément le pain comme Sacrement du Corps, et le vin comme Sacrement du Sang.
• Quant à l’effet considéré en chacun de ceux qui consomment le pain et le vin eucharistiques ; comme le note S. Ambroise : « Ce Sacrement sert à la protection du corps et de l’âme ; et c’est pourquoi le Corps du Christ est offert sous l’espèce du pain pour le salut du corps, le Sang est offert sous l’espèce du vin pour le salut de l’âme » car le Lévitique dit (17, 14) : « L’âme de la chair est dans le sang. »
• Quant à l’effet de l’Eucharistie à l’égard de toute l’Église, qui est constituée de divers fidèles « comme le pain est fait de divers grains et comme le vin coule de diverses grappes » selon la Glose sur ce passage (1 Co 10, 17) : « Tous, si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu’un seul corps. »
Tout agent agit en tant qu’il est en acte. Toute la substance du pain est convertie en toute la substance du Corps du Christ, et toute la substance du vin en toute la substance du Sang du Christ. Cette conversion n’est donc pas formelle mais substantielle. Elle ne figure pas parmi les diverses espèces de mouvements naturels, mais on peut l’appeler « transsubstantiation », ce qui est son nom propre.
Ambroise affirme « Dans ce Sacrement, il y a le Christ. » Il faut absolument professer, selon la foi catholique, que le Christ tout entier est dans ce Sacrement. Mais on doit savoir que ce qui appartient au Christ se trouve dans ce Sacrement de deux façons : d’une façon, comme en vertu du Sacrement ; d’une autre façon, en vertu de la concomitance naturelle.
En vertu du Sacrement, il y a sous les espèces sacramentelles le terme direct de la conversion subie par la substance préexistante du pain et du vin, en tant que cette conversion est signifiée par les paroles de la forme, qui sont efficaces dans ce Sacrement comme dans les autres, ainsi lorsqu’on dit : « Ceci est Mon Corps » ou : « Ceci est Mon Sang. »
En vertu de la concomitance naturelle, il y a dans ce Sacrement ce qui, dans la réalité, est uni au terme de cette conversion. Si deux choses sont unies réellement, partout où l’une se trouve réellement, l’autre doit se trouver aussi.
Puisque la conversion du pain et du vin n’a pas pour terme la divinité ni l’âme du Christ, il s’ensuit que Sa divinité ou Son âme ne se trouvent pas dans ce Sacrement en vertu du Sacrement, mais en vertu de la concomitance réelle. Car la divinité n’a jamais abandonné le Corps qu’elle a assumé dans l’Incarnation ; partout donc où se trouve le Corps du Christ, Sa divinité s’y trouve forcément aussi. Par conséquent, dans ce Sacrement, la divinité du Christ accompagne forcément Son corps.
Quant à l’Ame, elle fut réellement séparée du Corps. Par conséquent, si l’on avait célébré ce Sacrement pendant les trois jours où le Christ demeura dans la mort, l’Ame n’y aurait pas été présente, ni en vertu du Sacrement, ni en vertu de la concomitance réelle. Et par conséquent, dans ce Sacrement, le Corps du Christ se trouve en vertu du Sacrement, et Son Ame en vertu de la concomitance réelle.
Il en découle évidemment que les dimensions du pain et du vin ne sont pas converties aux dimensions du corps du Christ, mais qu’il y a conversion de substance à substance. Ainsi, c’est la substance du Corps du Christ ou de Son Sang qui est dans ce Sacrement en vertu du Sacrement, mais non les dimensions du Corps ou du Sang du Christ. Il est donc évident que le Corps du Christ est dans ce Sacrement par mode de substance et non par mode de quantité. Or la totalité propre à la substance est contenue indifféremment dans une quantité grande ou petite : ainsi toute la nature de l’air se trouve dans une grande ou une petite quantité d’air, et toute la nature de l’homme dans un homme petit aussi bien que dans un homme grand. Donc toute la substance du Corps et du Sang du Christ est contenue dans ce Sacrement après la consécration, comme avant la consécration y était contenue la substance du pain et du vin. Sous les espèces du pain, il y a le Corps du Christ en vertu du Sacrement, et Son Sang en vertu de la concomitance réelle, comme on vient de le voir, au sujet de Son Ame et de sa divinité.
Sous les espèces du vin, il y a le Sang du Christ en vertu du Sacrement, et Son Corps en vertu de la concomitance réelle, ainsi que Son Ame et Sa Divinité, du fait que maintenant le Sang du Christ n’est pas séparé de Son Corps, comme Il l’avait été au moment de Sa passion et de Sa mort.
Par conséquent, si l’on avait alors célébré l’Eucharistie, le Corps du Christ aurait existé sans Son Sang sous les espèces du pain et, sous les espèces du vin, Son Sang sans son Corps, comme Il existait dans la réalité.
Bien que le Christ tout entier se trouve sous chacune des deux espèces, ce n’est pas en vain.
• Parce que cela sert à représenter la passion du Christ, dans laquelle Son Sang fut séparé de Son Corps. C’est pourquoi, dans la forme de la consécration du Sang, on mentionne l’effusion de celui-ci.
• Cela convient à l’usage de ce Sacrement, pour qu’on présente séparément aux fidèles le Corps du Christ en nourriture et Son Sang en boisson.
• Quant aux effets du Sacrement : Le Corps nous est donné pour la santé du corps, le Sang pour la santé de l’âme.
Le corps du Christ ne se rattache pas à ce Sacrement en raison des dimensions de la quantité, mais en raison de la substance. En vertu du Sacrement, les dimensions du Corps du Christ ne sont pas dans ce Sacrement. Mais comme la substance du Corps du Christ n’est pas réellement dépouillée de ses dimensions et des autres accidents, il s’ensuit qu’en vertu de la concomitance réelle, il y a dans ce Sacrement toutes les dimensions du Corps du Christ, comme tous ses autres accidents.
Le Corps du Christ se trouve dans ce Sacrement par mode de substance. Or la substance, en tant que telle, n’est pas visible pour l’œil du corps, et ne donne prise à aucun organe des sens, ni à l’imagination, mais à l’intelligence seule, dont l’objet est l’essence des choses. On est donc contraint d’admettre que, dans ce Sacrement, les accidents subsistent sans sujet. Ce qui peut être produit par la vertu divine. Les espèces sacramentelles, bien qu’elles soient des formes existant sans matière, gardent cependant le même être qu’elles avaient antérieurement dans la matière. La quantité joue le rôle de matière. La quantité du pain et du vin garde sa nature propre et reçoit miraculeusement la vertu et la propriété de la substance. Toutes ces paroles appartiennent à la substance de la forme ; mais les premières paroles : « Ceci est le calice de Mon Sang » signifient précisément la conversion du vin au Sang, de la manière qu’on a dite à propos de la consécration du pain ; et les paroles qui suivent désignent la vertu du Sang répandu dans la passion, vertu qui opère dans ce Sacrement.
Après la consécration du pain, il y a là le Corps du Christ en vertu du Sacrement, et le Sang en vertu de la concomitance réelle. Mais ensuite, après la consécration du vin, il y a là, inversement, le Sang du Christ en vertu du Sacrement et le Corps du Christ en vertu de la concomitance réelle. Si bien que le Christ tout entier est présent sous chacune des deux espèces puisque le Christ et Sa passion sont cause de la grâce, et que la réfection spirituelle et la charité ne peuvent exister sans la grâce : de tout ce qu’on vient de dire il apparaît avec évidence que ce Sacrement confère la grâce.
Quiconque a conscience d’un péché mortel possède en lui-même un obstacle à percevoir l’effet de ce Sacrement, parce qu’il n’est pas un sujet adapté à ce Sacrement. Bien que ce Sacrement, autant qu’il dépend de lui, ait la vertu de préserver du péché, il n’enlève pourtant pas à l’homme la possibilité de pécher. A cause de l’inconstance du libre arbitre, il arrive qu’on pèche après avoir eu la charité ; de même après avoir reçu ce Sacrement. Bien que ce Sacrement ne soit pas directement ordonné à l’atténuation du foyer, il l’atténue cependant en vertu d’une certaine conséquence, en tant qu’il accroît la charité.
La passion du Christ profite bien à tous en tant qu’elle est suffisante et pour la rémission de la faute, et pour l’obtention de la grâce et de la gloire, mais elle ne produit son effet qu’en ceux qui s’unissent à la passion du Christ par la foi et la charité ; de même ce sacrifice, qui est le mémorial de la passion du Seigneur, ne produit son effet qu’en ceux qui sont unis à ce Sacrement par la foi et la charité.
La manducation spirituelle, qui ne convient pas aux pécheurs. « Il mange et boit indignement, celui qui est dans le péché, ou qui traite le Sacrement avec irrévérence. » Donc celui qui est dans le péché mortel, s’il reçoit ce Sacrement, acquiert sa condamnation, en commettant un nouveau péché mortel. Ce péché n’est pas le plus grave de tous, mais plutôt le péché d’infidélité.
L’obstacle qui s’oppose à la charité en elle-même a plus de poids que celui qui entrave sa ferveur. C’est pourquoi le péché d’infidélité, qui sépare radicalement l’homme de l’unité de l’Église, à parler dans l’absolu, rend l’homme tout à fait incapable de recevoir ce Sacrement, qui est le Sacrement de l’unité ecclésiastique. Le Christ, selon qu’Il est dans le Sacrement, ne peut pâtir. Cependant Il peut mourir. Si l’on avait consacré ce Sacrement au moment de la passion du Christ, quand le Sang fut réellement séparé du Corps, il n’y aurait eu que le Corps sous l’espèce du pain, et sous l’espèce du vin il n’y aurait eu que le Sang. C’est pourquoi, si alors on avait consacré ou conservé ce Sacrement quand l’Ame était réellement séparée du Corps, l’Ame du Christ n’aurait pas été présente sous ce Sacrement.
Chacun est tenu d’user de la grâce qui lui a été donnée, lorsqu’il en a l’opportunité.
Parce que nous avons quotidiennement besoin du fruit de la passion du Seigneur, à cause de nos défaillances quotidiennes, il est normal que, dans l’Église, on offre quotidiennement ce Sacrement. C’est pourquoi le Seigneur nous enseigne à demander : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Ce que S. Augustin explique ainsi : « Si le pain est quotidien, pourquoi le mangez-vous au bout d’un an, selon la coutume des Grecs en Orient ? Prenez quotidiennement ce qui vous soutient quotidiennement. » Et parce que la Passion du Seigneur fut célébrée depuis la troisième jusqu’à la neuvième heure, il est normal que ce soit dans cette partie du jour que ce Sacrement est solennellement célébré dans l’Église.
C’est pourquoi ce qui est simple commémoration ne se fait qu’une fois par an, mais ce Sacrement se célèbre chaque jour, et pour appliquer le fruit de la passion et pour en renouveler sans cesse la mémoire.
Au jour de la Nativité, on célèbre plusieurs messes à cause de la triple naissance du Christ.
• La première est éternelle qui, pour nous, est cachée. C’est pourquoi l’on chante une Messe la nuit, où l’on dit à l’introït (Ps 2, 7) : « Le Seigneur m’a dit : vous êtes Mon Fils, Moi, aujourd’hui, Je vous ai engendré. »
• La deuxième est sa naissance selon le temps, mais dans les âmes, par laquelle le Christ « se lève dans nos coeurs comme l’étoile du matin » (2 P 1, 19). Et c’est pourquoi l’on chante une Messe à l’aurore, où l’on dit à l’introït (Is 9, 2) : « La lumière brillera aujourd’hui sur nous. »
• La troisième est la naissance du Christ selon le temps et dans son corps, selon laquelle il s’est produit visiblement hors du sein virginal, revêtu de notre chair. Et c’est pourquoi on chante la troisième Messe à la pleine lumière et l’on chante dans son introït (Is 9, 5) : « Un Enfant nous est né. »
Cependant on peut dire, inversement, que la naissance éternelle, considérée en elle-même, est en pleine lumière : et c’est pourquoi, dans l’évangile de la troisième Messe, on fait mention de la naissance éternelle. Mais selon la naissance corporelle Il est né, à la lettre, pendant la nuit, pour signifier qu’Il venait vers les ténèbres de notre faiblesse : aussi, dans la Messe nocturne, lit-on l’évangile de la naissance corporelle du Christ.
La matière prochaine du Sacrement de Pénitence sont les actes du pénitent, qui ont eux-mêmes pour matière les péchés regrettés et confessés par le pénitent, et pour lesquels il satisfait. Il s’ensuit donc que la matière éloignée du Sacrement de Pénitence, ce sont les péchés, non pas en tant que voulus en intention, mais en tant qu’ils doivent être détestés et abolis.
Quant à la nécessité du Sacrement de Pénitence, elle est conditionnelle, ce Sacrement n’étant pas nécessaire à tous, mais seulement à ceux qui sont sous le joug du péché. Il est donc évident que le Sacrement de Pénitence est nécessaire au salut après le péché, comme la médication corporelle après que l’homme est tombé dans une maladie grave.
Mais du fait que la bonne volonté a été supprimée par le péché, elle ne peut nous être rendue sans cette tristesse qui nous fait pleurer le péché passé, et qui est celle de la pénitence. Une fois l’homme tombé en état de péché, il ne peut être libéré par la charité, la foi et la miséricorde sans la pénitence.
• En effet, la charité exige que l’homme pleure l’offense commise contre son ami, et s’applique à lui donner satisfaction.
• La foi demande aussi que l’homme cherche à se justifier de ses péchés par la vertu de la passion du Christ, vertu qui opère dans les Sacrements de l’Église.
• Enfin, la miséricorde bien ordonnée requiert elle-même que l’homme, en faisant pénitence, remédie à la misère dans laquelle il s’est précipité par le péché : «Ayez pitié de votre âme en faisant ce qui plaît à Dieu. »
C’est grâce au privilège personnel de son pouvoir d’excellence que le Christ a pu concéder à la femme adultère l’effet du Sacrement de Pénitence, la rémission des péchés, sans le Sacrement, mais non sans les sentiments de pénitence intérieure que lui-même, par la grâce, a fait naître en cette femme. S. Jérôme dit que « la seconde planche après le naufrage, c’est la pénitence ».
Il y a deux sortes de pénitence extérieure et intérieure.
• La pénitence intérieure nous fait pleurer le péché commis, et elle doit durer jusqu’à la fin de la vie. L’homme, en effet, doit toujours regretter d’avoir péché ; si jamais il trouvait bon d’avoir commis le péché, du coup il en redeviendrait coupable et perdrait le fruit du pardon.
• Quant à la pénitence extérieure, qui nous fait donner des signes extérieurs de notre regret, confesser oralement nos péchés au prêtre qui les absout, et satisfaire selon la volonté du confesseur, elle ne doit pas durer jusqu’à la fin de notre vie, mais seulement pendant un temps proportionné à la gravité du péché.
Faire pénitence, c’est pleurer les péchés déjà commis, et ne plus commettre d’acte qu’on doive pleurer. La grande haine de Dieu pour les péchés se reconnaît à ce fait qu’Il est toujours prêt à les détruire pour empêcher que se dissolve ce qu’Il a créé, et que s’anéantisse par le désespoir, ce qu’Il a aimé. L’intention de travailler à effacer le péché passé requiert une vertu spéciale, soumise au commandement de la charité.
La pénitence procède de la crainte. Nous pouvons aussi considérer la pénitence quant aux actes par lesquels nous coopérons avec Dieu qui agit dans cette vertu.
De ces actes,
• le premier principe est l’activité de Dieu convertissant le coeur, selon les Lamentations (5, 21) : «Convertissez-nous à Vous, Seigneur, et nous nous convertirons. »
• Le deuxième est un mouvement de foi.
• Le troisième est un mouvement de crainte servile, qui nous retire du péché par crainte du supplice.
• Le quatrième est un acte d’espérance qui nous fait prendre la résolution de nous amender dans l’espoir d’obtenir notre pardon.
• Le cinquième est un mouvement de charité qui fait que le péché nous déplaît en tant que tel, et non plus à cause du châtiment.
• Le sixième est un mouvement de crainte filiale où, par respect pour Dieu, on Lui offre de grand cœur l’amendement de sa vie.
Il apparaît donc que l’acte de pénitence procède de la crainte servile comme du premier mouvement affectif nous ordonnant à la pénitence, et de la crainte filiale comme de son principe immédiat et prochain. L’abondance de Sa miséricorde l’emporte sur la malice du pécheur. L’offense qu’est le péché mortel vient de ce que la volonté de l’homme s’est détournée de Dieu pour se tourner vers un bien périssable. Aussi est-il requis, pour la rémission de l’offense faite à Dieu, que la volonté humaine soit changée de telle sorte qu’elle se tourne vers Dieu avec détestation de sa conversion antérieure au bien créé, et avec ferme propos de réparer. C’est là l’essence même de la pénitence, en tant qu’elle est vertu. Il est donc impossible qu’un péché soit remis sans la pénitence en tant que vertu.
Quant à l’adulte, qui a des péchés actuels consistant dans un désordre de l’inclination actuelle de la volonté, les péchés ne lui sont pas remis, même par le Baptême, sans le changement actuel de la volonté qui se fait par la pénitence. Espérer un demi-pardon de celui qui est le juste et la justice, c’est une impiété qui tient de l’infidélité.
David pécheur ayant dit à Nathan (2 S 12, 13-14) : « J’ai péché contre le Seigneur », Nathan lui répondit : « Le Seigneur vous a pardonné votre péché ; vous ne mourrez pas, mais le fils qui vous est né mourra », et cette mort fut la peine du péché précédent, dit le même passage. Donc, il reste encore après la remise de la faute la dette d’une peine. Il y a deux éléments dans le péché mortel : l’aversion loin du Dieu immuable, et la conversion désordonnée au bien qui passe.
Du fait de son aversion loin du bien immuable, le péché mortel encourt une peine éternelle, en sorte que celui qui a péché contre le bien éternel doit être éternellement puni.
Du fait de la conversion au bien qui passe, conversion désordonnée, le péché mérite aussi quelque peine. En effet, c’est seulement par la peine que le désordre de la faute est ramené à l’ordre de la justice. Il est juste en effet que celui qui a permis à sa volonté plus de satisfaction qu’il ne devait, ait à souffrir quelque chose de contraire à sa volonté. C’est ainsi qu’il y aura égalité. Cependant la conversion au bien qui passe étant d’ordre fini, le péché ne mérite pas, à ce titre, de peine éternelle, mais seulement une peine temporelle. De là vient que si la conversion au bien qui passe n’implique pas de mouvement d’aversion loin de Dieu, comme dans les péchés véniels, le péché ne mérite pas la peine éternelle, mais seulement une peine temporelle.
Quand donc, par la grâce, la faute est remise, l’état d’aversion de l’âme envers Dieu disparaît, en tant que l’âme est unie à Dieu par la grâce, et par conséquent la dette de peine éternelle disparaît en même temps ; mais il peut rester quelque dette de peine temporelles.
La grâce enlève l’état d’aversion de l’esprit envers Dieu et la dette de peine éternelle ; mais il reste l’élément matériel du péché, l’état de conversion désordonnée au bien créé, pour laquelle le pécheur mérite une peine temporelle. En conséquence, puisque l’effet de la grâce opérante précède celui de la grâce coopérante, la rémission de la faute et de la peine éternelle précède aussi la pleine absolution de la peine temporelle. L’un et l’autre effet ont pour cause la grâce, mais le premier dépend de la grâce seule, le second, de la grâce et du libre arbitre.
La passion du Christ est par elle-même suffisante pour obtenir la rémission de toute la dette de peine, non seulement celle de la peine éternelle mais aussi celle de la peine temporelle. Dans la mesure où l’homme participe à la vertu de la passion du Christ, il reçoit aussi l’absolution de la dette de peine. Or, dans le Baptême, l’homme entre en participation totale de la vertu de la passion du Christ, en tant que par l’eau et l’Esprit du Christ, il est mort avec le Christ au péché, et régénéré dans le Christ pour une vie nouvelle. C’est pourquoi dans le Baptême l’homme obtient la rémission de toute la dette de peine.
Dans la Pénitence au contraire, l’homme obtient le bénéfice de la vertu de la passion du Christ selon la mesure de ses actes propres, qui sont la matière de la Pénitence, comme l’eau est la matière du Baptême. Voilà pourquoi toute la dette de peine n’est pas remise aussitôt par le premier acte de pénitence qui obtient remise de la faute, mais seulement quand tous les actes de pénitence sont accomplis.
C’est l’état d’aversion de l’âme envers Dieu qui est supprimé par la grâce dans la rémission du péché mortel. Mais cette disparition de l’état d’aversion n’empêche pas que puisse demeurer ce qui vient du désordre de la conversion au bien qui passe, puisque cette conversion peut exister indépendamment de l’aversion, comme nous l’avons dit à l’article précédent. Rien ne s’oppose donc à ce que les dispositions causées par les actes antérieurs, et appelées “restes du péché”, demeurent après le pardon de la faute. Elles ne demeurent cependant qu’affaiblies et diminuées, de telle sorte qu’elles ne dominent plus l’homme. Elles n’agissent plus à la manière de véritables habitus, mais plutôt comme de simples dispositions, comme fait le foyer du péché qui reste après le Baptême.
Quelquefois l’ébranlement subi par le cœur de l’homme, dans sa conversion, est si puissant qu’il retrouve subitement une parfaite santé spirituelle. Non seulement la faute est remise, mais tous les restes du péché disparaissent, comme on le voit dans le cas de Madeleine. D’autres fois, au contraire, la faute est d’abord remise par la grâce opérante, puis la grâce coopérante fait disparaître peu à peu les restes du péché.
La rémission de la faute se fait toujours par l’union de l’homme avec Dieu, dont la faute nous sépare plus ou moins. Cette séparation est complète dans le péché mortel, imparfaite dans le péché véniel. En effet, dans le péché mortel, l’esprit est complètement détourné de Dieu puisqu’il agit en contradiction avec la charité. Quant au péché véniel, il retarde l’élan de notre cœur, l’empêchant de se porter volontiers vers Dieu. C’est pourquoi la rémission de l’un et de l’autre péché se fait par la pénitence, parce que l’un et l’autre mettent dans la volonté le désordre d’un attachement immodéré au bien créé.
De même que le péché mortel ne peut pas être remis tant que la volonté adhère au péché, le péché véniel ne peut pas l’être non plus, pour le même motif, parce que, tant que la cause persiste, l’effet demeure. Cependant la rémission du péché mortel exige une pénitence plus parfaite. Il s’ensuit donc qu’il faut au moins un certain déplaisir virtuel.
L’homme en état de grâce peut éviter tous les péchés mortels et chacun d’eux en particulier. Il peut aussi éviter chaque péché véniel en particulier, mais non pas tous. C’est pourquoi la pénitence des péchés mortels requiert que l’homme ait le ferme propos d’éviter tous les péchés mortels et chaque péché en particulier, tandis que pour la pénitence des péchés véniels, il est bien requis que l’homme forme la résolution de s’abstenir de chaque péché, mais non pas de tous, notre faiblesse en cette vie ne nous permettant pas une telle perfection. Il faut cependant avoir la résolution de se préparer à diminuer les péchés véniels, autrement on s’exposerait à tomber, n’ayant pas le désir de progresser et d’enlever ces obstacles à l’avancement spirituel que sont les péchés véniels.
Le péché véniel qui survient ne chasse pas la grâce et même ne la diminue pas. Il s’ensuit que, pour la même raison, la rémission du péché véniel n’exige pas l’infusion d’une grâce nouvelle. Or le péché véniel n’est pas contraire à la grâce habituelle ou à la vertu de charité ; il ne fait que ralentir l’activité de cette charité, en tant que l’homme s’attache trop au bien créé, mais sans se mettre en opposition avec Dieu. En conséquence, pour que le péché véniel soit enlevé, il n’est pas nécessaire qu’il y ait infusion d’une grâce habituelle, mais un mouvement actuel de grâce ou de charité suffit à sa rémission.
Cependant, comme chez ceux qui ont l’usage du libre arbitre, les seuls capables de péchés véniels, il n’y a pas infusion de grâce sans un mouvement actuel de libre élan vers Dieu et de libre détestation du péché, il s’ensuit qu’il y a une rémission de péchés véniels à chaque nouvelle infusion de grâce.
La rémission des péchés véniels est toujours un effet de la grâce, mais par l’acte que la grâce produit de nouveau et non point par une nouvelle infusion dans l’âme d’une disposition habituelle.
Le corps peut recevoir une tache de deux façons, ou bien par la privation de ce qu’exige sa beauté : de la couleur qui lui convient, de la proportion que doivent avoir ses différentes parties, – ou bien par l’adhérence d’un corps étranger, par exemple, de la poussière et de la boue qui empêchent le rayonnement de sa beauté. Il en va de même de l’âme. Elle peut être souillée de la première façon par la privation de la beauté de la grâce qu’enlève le péché mortel, ou de la seconde façon par une inclination d’affection désordonnée pour quelque bien temporel. C’est ce que fait le péché véniel. Il s’ensuit que pour enlever la souillure du péché mortel, il faut l’infusion de la grâce. Mais pour enlever la tache du péché véniel, il suffit d’un acte procédant de la grâce, qui supprime l’attache désordonnée au bien temporel.
La culpabilité des péchés précédemment pardonnés revient avec le péché postérieur, non pas en tant que cette culpabilité serait l’effet des péchés déjà pardonnés, mais en tant qu’elle est l’effet actuel du péché commis en dernier lieu, péché plus grave en raison des péchés précédents. Quant au péché véniel, il n’implique pas d’ingratitude, parce qu’en péchant véniellement l’homme ne se met pas en opposition absolue avec Dieu, mais agit en dehors de Lui. Tout péché ne procède pas du mépris de Dieu, bien qu’en tout péché le mépris de Dieu soit inclus dans celui de Ses préceptes.
Selon que, dans la pénitence, le mouvement du libre arbitre est plus intense ou plus faible, le pénitent reçoit une grâce plus ou moins grande. Leur chute leur est profitable, parce qu’ils se relèvent plus humbles et deviennent mieux instruits. Les clercs contumaces doivent être corrigés par leurs évêques, autant que le rang de leur dignité le permet, de telle façon qu’une fois corrigés par la pénitence, ils reçoivent de nouveau leur grade hiérarchique et leur dignité. Le saint roi David, lui aussi, a fait pénitence de crimes dignes de mort, et cependant il est resté sur son trône. De même, le bienheureux Pierre est demeuré Apôtre, bien qu’avec des larmes très amères il ait fait pénitence pour avoir renié le Seigneur.
L’effet des œuvres vertueuses faites en état de charité est de nous conduire à la vie éternelle. Cet effet est empêché par le péché mortel qui, commis après les œuvres, nous enlève la grâce. C’est de cette façon que les œuvres vertueuses faites en état de charité sont dites « mortifiées » par le péché mortel qui les suit.
Celui qui se relève par la pénitence dans un degré de charité inférieur au précédent, recevra la récompense essentielle selon la mesure de charité où il se trouvera à sa mort. Les œuvres sont dites encore « mortes » en raison de ce qui leur manque : parce qu’elles n’ont pas cette vie spirituelle qui vient de la charité par laquelle l’âme est unie à Dieu, recevant de Dieu la vie comme le corps la reçoit de l’âme. C’est de cette façon que la foi, sans la charité, est dite « morte », selon S. Jacques (2, 20) : « La foi sans les œuvres est morte. » C’est aussi de cette façon qu’on appelle mortes toutes les œuvres bonnes par leur genre, qui sont faites sans la charité, en tant qu’elles ne procèdent pas du principe de la vie.
Voici donc ce qui est requis de la part du pénitent :
• qu’il veuille donner compensation, et cette volonté, c’est la contrition ;
• qu’il se soumette au jugement du prêtre tenant la place de Dieu, et c’est ce qui se fait dans la confession ;
• qu’il donne la compensation fixée par la sentence du ministre de Dieu, et c’est ce qui se fait dans la satisfaction.
C’est ainsi qu’on distingue trois parties dans la pénitence : la contrition, la confession et la satisfaction. Avant le Baptême, il n’y a pas de péché véniel sans péché mortel.
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