Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 avril 1905
Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires en paix et en communion avec le siège apostolique.
À nos vénérables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires en paix et en communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique,
C’est dans un temps bien ingrat et difficile que les secrets desseins de Dieu ont appelé Notre petitesse à exercer la charge de suprême Pasteur sur tout le troupeau du Christ. L’homme ennemi rôde depuis longtemps autour de la bergerie et l’assiège d’embûches si perfidement calculées qu’on croit voir réalisée, maintenant plus que jamais, la prédiction de l’Apôtre aux Anciens de l’Église d’Ephèse : Je sais que parmi vous pénétreront des loups ravisseurs, qui n’épargneront pas le troupeau (Act. XX, 29).
De cet amoindrissement des choses religieuses, tous ceux qui ont encore le zèle de la gloire divine recherchent les causes et les raisons ; les uns en donnent une, les autres une autre, et chacun selon son opinion propose des moyens différents pour défendre ou rétablir le règne de Dieu sur terre. Quant à Nous, Vénérables Frères, sans désapprouver le reste, Nous croyons qu’il faut adhérer au jugement de ceux qui attribuent le relâchement actuel des âmes et leur faiblesse, avec les maux si graves qui en résultent, principalement à l’ignorance des choses divines. C’est exactement ce que Dieu disait par la bouche du Prophète Osée : Il n’y a plus de science de Dieu sur la terre. La calomnie, le mensonge, l’homicide, le vol et l’adultère débordent, et le sang suit le sang. Voilà pourquoi la terre gémira et tous ceux qui l’habitent seront affaiblis (Osée, IV, 1).
Et en effet, qu’il y ait actuellement dans le peuple chrétien bon nombre d’hommes absolument ignorants des choses qu’on doit connaître pour son salut éternel, c’est une plainte générale et malheureusement trop fondée. Et quand Nous parlons du peuple chrétien, Nous n’entendons pas seulement le petit peuple ou les gens de la classe inférieure, qui souvent trouvent encore une sorte d’excuse à leur ignorance, parce qu’ils dépendent de maîtres durs et ne sont guère libres de songer à eux-mêmes et à leurs intérêts. Il s’agit aussi et surtout de ceux qui, ne manquant ni de talent ni de culture, possèdent abondamment la science profane, mais qui, pour ce qui regarde la Religion, vivent absolument à l’aventure et sans réflexion. On peut à peine dire de quelles épaisses ténèbres ils sont enveloppés, et, chose plus affligeante, ils y demeurent tranquillement plongés ! Dieu, le souverain Auteur et Maître de toutes choses, la Sagesse de la Foi chrétienne, ils n’y pensent presque jamais. L’Incarnation du Verbe de Dieu, la Rédemption du genre humain accomplie par Lui, ils n’en savent rien ; rien non plus de la Grâce, qui est le grand moyen d’acquérir les biens éternels ; rien de l’auguste Sacrifice ni des Sacrements, par lesquels nous obtenons et gardons en nous cette Grâce. Quant au péché, on ne tient nul compte de ce qu’il renferme de malice ou de honte ; par suite, nul souci de l’éviter ou de s’en débarrasser ; et ainsi l’on arrive au dernier jour. Alors, quand il ne reste à l’agonisant que quelques instants qui devraient être consacrés à des Actes d’amour pour Dieu, le Prêtre, afin de ne pas laisser perdre tout espoir de salut, est contraint de les employer à un enseignement sommaire de la Religion : trop heureux encore si le moribond n’est pas tellement dominé par une coupable ignorance, comme il arrive trop souvent, qu’il juge inutile toute intervention du prêtre et croie pouvoir, le cœur léger, sans avoir rien fait pour apaiser Dieu, entrer dans le redoutable chemin de l’Éternité. Aussi Notre prédécesseur Benoît XIV a eu raison d’écrire : Nous affirmons qu’une grande partie de ceux qui sont condamnés aux supplices éternels doivent cet irréparable malheur à l’ignorance des Mystères de la Foi, qu’on doit nécessairement savoir et croire pour être admis au nombre des élus. ( Instit., XXVI, 18 ).
Les choses étant ainsi, comment s’étonner, Vénérables Frères, si l’on voit régner en ce moment et se développer de jour en jour, non point chez les nations barbares, mais parmi les peuples qui portent le nom de Chrétiens, une telle corruption de moeurs et une telle dépravation des habitudes ? L’Apôtre Paul, écrivant aux Éphésiens, disait : Que la fornication et tout genre d’impureté, ainsi que l’avarice, ne soient même pas nommés parmi vous, comme il convient à des Saints, et qu’il n’y ait aussi ni turpitude ni sots discours (Éphes., V, 3). Mais à cette sainteté et à cette pudeur qui refrènent les passions, il donne pour fondement l’intelligence des choses divines : Prenez donc garde, Frères, de marcher avec précaution, non comme des insensés, mais comme des sages. Ne devenez pas des imprévoyants, mais des hommes qui comprennent la Volonté de Dieu (Éphes., V, 15).
Et c’est avec grande raison. Car la volonté de l’homme garde à peine un reste de cet amour de l’honnête et du juste, que Dieu son Créateur avait mis en lui et qui l’entraînait en quelque sorte vers le bien, non pas apparent, mais réel. Dépravée par la corruption du péché originel et ne connaissant plus, pour ainsi dire, Dieu son Créateur, elle dirige toutes ses intentions vers l’amour de la vanité et la recherche du mensonge. Cette volonté égarée et aveuglée par les mauvaises passions a donc besoin d’un guide qui lui montre le chemin, pour la faire rentrer dans les sentiers de la justice qu’elle a eu le tort d’abandonner. Ce guide, nous n’avons pas à le chercher au dehors, il nous est donné par la nature : c’est notre intelligence. S’il lui manque la vraie Lumière, c’est à dire la connaissance des choses divines, ce sera l’histoire de l’aveugle conduisant un aveugle : tous deux tombent dans le fossé. Le saint roi David, louant Dieu d’avoir mis la lumière de la Vérité dans l’intelligence humaine, disait : La lumière de Votre face, ô Seigneur, est empreinte sur nous (Ps. IV, 7). Et l’effet de cette communication de la Lumière, il l’indique en ajoutant : Vous m’avez mis la joie dans mon cœur, – cette joie qui, dilatant notre cœur, nous fait courir dans la voie des divins Préceptes.
Un peu de réflexion éclaircira ce point. La Doctrine chrétienne nous manifeste Dieu et Ses infinies perfections bien plus clairement que ne le font les facultés naturelles. Cette Doctrine nous oblige à honorer Dieu par la Foi, qui vient de l’intelligence ; par l’Espérance, qui vient de la volonté ; par la Charité, qui vient du cœur, et ainsi elle soumet tout l’homme au souverain Créateur et Maître. De même, la doctrine de Jésus-Christ est la seule qui nous révèle la véritable et haute dignité de l’homme : car elle nous le présente comme Fils du Père qui est aux cieux, fait à Son image et destiné à vivre avec Lui dans l’Éternité bienheureuse. De cette dignité et de sa connaissance, le Christ déduit pour les hommes l’obligation de s’aimer les uns les autres comme des Frères, et de vivre ici-bas comme il sied à des enfants de lumière, non dans les festins et les orgies, non dans la débauche et l’impudicité, non dans les disputes et les rivalités (Rom., XIII, 13) ; Il veut aussi que nous jetions dans le sein de Dieu tous nos soucis, parce qu’Il a soin de nous ; Il nous commande de donner aux pauvres, de faire du bien à ceux qui nous haïssent, de préférer les intérêts éternels de l’âme aux biens passagers de ce monde. Et sans toucher à tous les détails, n’est-ce pas l’enseignement du Christ qui, à l’homme aux prétentions orgueilleuses, conseille et prescrit cet abaissement de soi qui conduit à la véritable gloire ? Quiconque s’humiliera… sera le plus grand dans le Royaume des cieux (Matth., XVIII, 4). La même Doctrine nous enseigne la prudence de l’esprit, qui nous met en garde contre la prudence de la chair ; la justice, qui nous fait accorder à chacun son droit ; la force, qui nous dispose à tout souffrir, le cœur haut, pour Dieu et pour l’éternelle béatitude ; enfin la tempérance, qui nous porte à chérir même la pauvreté, pour le Royaume de Dieu, et à nous glorifier jusque dans la croix, sans souci de l’humiliation. Il est donc établi que non seulement notre intelligence emprunte à la Doctrine chrétienne la lumière qui lui permet d’acquérir la vérité, mais aussi que notre volonté y puise l’ardeur qui nous élève à Dieu et nous unit à Lui par l’exercice de la vertu.
Loin de nous, toutefois, d’en conclure que la perversité du cœur et la corruption des moeurs ne puissent se rencontrer avec la science de la Religion. Plût à Dieu que les faits prouvassent moins souvent le contraire ! Ce que Nous affirmons, c’est que, chez les hommes dont l’intelligence est enveloppée des ténèbres d’une épaisse ignorance, il ne saurait subsister de volonté droite ni de moeurs pures. Celui qui marche les yeux ouverts peut sans doute s’écarter du chemin droit et vrai : mais celui qui est frappé de cécité va sûrement au devant du danger. Ajoutez‑y que la corruption des moeurs, là où la lumière de la Foi n’est pas absolument éteinte, laisse quelque espoir d’amendement ; mais quand la dépravation des moeurs et la disparition de la Foi par suite de l’ignorance se trouvent réunies, il n’y a plus guère de remède et la route est ouverte pour la ruine finale.
Puis donc que l’ignorance de la Religion cause tant et de si graves dommages et que, d’autre part, l’Instruction religieuse est si nécessaire et si utile (car on attendrait en vain l’accomplissement de ses devoirs chrétiens d’un homme qui les ignore), il faut voir maintenant à qui incombe le soin de préserver les intelligences de cette ignorance fatale et de leur inculquer la science nécessaire.
Là-dessus, Vénérables Frères, le doute n’est pas possible : cette charge très grave regarde tous les Pasteurs des âmes. De par le précepte du Christ, ils sont tenus de connaître et de nourrir les brebis qui leur sont confiées. Or, ici, nourrir, c’est tout d’abord enseigner : Je vous donnerai (ainsi que Dieu le promettait par Jérémie) des Pasteurs selon Mon cœur, et ils vous nourriront de science et de doctrine (Jér., III, 15). De là ces paroles de l’Apôtre : Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais évangéliser (I Cor., I, 17). Il veut dire que le premier rôle de ceux qui sont préposés d’une façon quelconque au gouvernement de l’Église est d’apprendre aux Fidèles les choses saintes.
Nous jugeons superflu de faire l’éloge de cet enseignement et de montrer de quel prix il est devant Dieu. Assurément, la pitié que nous témoignons aux pauvres pour le soulagement de leur détresse reçoit de Dieu de grandes louanges ; mais qui pourrait nier le mérite bien supérieur du zèle et du travail que nous employons à procurer, non pas des avantages passagers aux corps, mais des biens éternels aux âmes, en les instruisant et les exhortant ? Non, rien ne saurait être plus désirable, rien plus agréable pour Jésus-Christ le Sauveur des âmes, qui a dit de Lui-même par la bouche d’Isaïe : Il M’a envoyé évangéliser les pauvres (Luc, IV, 18).
Mais il importe ici, Vénérables Frères, de nous arrêter à une réflexion spéciale et d’y insister : c’est qu’il n’existe pas pour le Prêtre, quel qu’il soit, de devoir plus grave ni d’obligation plus étroite. Car qui niera que le Prêtre doive joindre la science à la sainteté de vie ? Les lèvres du Prêtre garderont la science (Malach. , II, 7). Et, en effet, l’Église l’exige très sévèrement de ceux qui doivent être initiés au Sacerdoce. Pourquoi ? Parce que le peuple chrétien attend d’eux la connaissance de la loi divine et que Dieu les destine à la distribuer : Ils demanderont à sa bouche la Loi parce qu’il est l’ange du Dieu des armées (Ibid).
C’est pour cela que l’Évêque au moment de l’ordination, s’adressant aux candidats du sacerdoce, leur dit : Que votre Doctrine soit pour le peuple de Dieu une médecine spirituelle ; que tous soient de prévoyants collaborateurs de notre charge, en sorte que, méditant jour et nuit la Loi sainte, ils croient ce qu’il auront lu et enseignent ce qu’ils croiront (Pontif. Rom).
Si ces choses regardent tous les Prêtres, que dirons-nous de ceux qui, honorés du titre et du pouvoir de Curés, remplissent la charge de Directeur des âmes en vertu de leur dignité et d’une sorte de contrat ? Ceux-là, dans une certaine mesure, doivent prendre rang parmi les Pasteurs et les Docteurs que le Christ a établis pour que les Fidèles ne soient plus comme des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la malice des hommes…, mais que, confessant la Vérité, ils croissent à tous égards dans la Charité, en Celui qui est notre Chef, le Christ (Éphes., IV, 14,15).
C’est pourquoi le saint Concile de Trente, traitant des Pasteurs des âmes, déclare que leur premier et principal devoir est d’instruire le Peuple chrétien (Sess. V, 2 ; sess. XXII, 8 ; sess. XXIV, 4 et 7). Il leur ordonne donc, au moins les Dimanches et jours de Fêtes solennelles, de parler au peuple sur la Religion ; au saint Temps de l’Avent et du Carême, ils doivent le faire chaque jour, ou du moins trois fois par semaine. Ce n’est pas tout. Il ajoute que les Curés sont tenus, au moins les Dimanches et Fêtes, par eux-mêmes ou par d’autres, d’instruire les enfants dans les Vérités de la Foi et de les former à l’obéissance envers Dieu et leurs parents. Quand il s’agira d’administrer les Sacrements, il veut qu’on instruise de leur vertu ceux qui doivent y participer, en employant un langage facile et usuel.
Notre prédécesseur Benoît XIV a résumé et précisé, dans sa Constitution Etsi minime, toutes ces prescriptions du saint Concile : Deux principales obligations ont été imposées par le Concile de Trente aux Pasteurs des âmes : l’une, d’adresser au peuple, les jours fériés, des discours sur les choses divines ; l’autre d’apprendre aux enfants et à tous les ignorants les éléments de la Loi divine et de la Foi. Le sage Pontife a raison de distinguer les deux obligations, celle du discours qui consiste dans l’explication de l’Évangile et celle de l’Instruction religieuse. Peut-être, en effet, certains Prêtres, désireux de diminuer leur besogne, voudraient se persuader que le Prône peut tenir lieu de catéchèse : il suffit de réfléchir pour voir que c’est une erreur. Le discours qu’on fait sur le saint Évangile s’adresse à des auditeurs qui doivent déjà posséder les éléments de la Foi. On peut appeler cela le pain qu’on distribue aux adultes. Mais l’enseignement catéchétique est ce lait dont l’Apôtre saint Pierre dit que les Fidèles doivent le désirer sans artifice comme des enfants nouveau-nés.
La tâche du Catéchiste consiste à prendre pour sujet une Vérité qui se rapporte à la Foi ou à la morale chrétienne, et à la mettre en lumière sous toutes ses faces. Mais, comme le but de l’enseignement doit être la réforme de la vie, le Catéchiste comparera ce que Dieu commande de faire et ce que les hommes font dans la réalité. Puis, profitant des exemples qu’il aura su tirer à propos soit des saintes Écritures, soit de l’Histoire ecclésiastique ou de la Vie des Saints, il expliquera aux auditeurs et leur montrera, pour ainsi dire du doigt, comment ils ont à régler leur conduite. Il terminera par une exhortation qui puisse leur faire détester et fuir les vices et leur faire suivre le chemin de la vertu.
Nous savons bien que cet enseignement de la Doctrine chrétienne déplaît à beaucoup, sous prétexte qu’il est médiocrement estimé, d’ordinaire, et peu fait pour gagner les faveurs du public. Cette appréciation, à Notre avis, est celle d’hommes qui prennent pour guide la légèreté plutôt que la vérité. Nous ne refusons pas Notre juste approbation aux orateurs sacrés qui, par un zèle sincère pour la gloire de Dieu, s’emploient à venger et à défendre la Foi ou à louer les Saints ; mais leur travail demande un autre travail préalable, celui des Catéchistes : si ce dernier fait défaut, les fondements font défaut, et c’est en vain que travailleront ceux qui bâtissent la demeure. Trop souvent il arrive que des discours très élégants, accueillis par les applaudissements d’un auditoire très nombreux, n’aboutissent qu’à chatouiller les oreilles, sans remuer les cœurs. Au contraire, une Instruction catéchétique, bien que modeste et simple, sera cette parole que Dieu Lui-même exalte par la voix d’Isaïe : Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y retournent pas, mais abreuvent la terre, la fécondent et la font germer, fournissent la semence au semeur et le pain à l’affamé : telle la parole qui sort de Ma bouche. Elle ne reviendra pas à Moi sans effet, mais elle accomplira tout ce que Je voulais et produira les fruits pour lesquels Je l’ai envoyée (Isai., LV, 10,11).
Nous croyons qu’il faut en penser autant de ces Prêtres qui, pour mettre en lumière les Vérités de la Religion, composent des ouvrages de grand travail : ils méritent les plus beaux éloges. Cependant, combien petit est le nombre de ceux qui étudient ces volumes et en retirent un fruit proportionné au travail des auteurs et à leurs vœux ! L’enseignement de la Doctrine chrétienne, s’il est bien donné, n’est jamais sans profit pour les auditeurs.
Et, pour enflammer le zèle des Ministres de Dieu, il sera bon de le répéter encore : grand est le nombre – et il grandit tous les jours – de ceux qui ignorent tout, en fait de Religion, ou qui ont de Dieu et de la Foi chrétienne une connaissance si insuffisante qu’elle ne les empêche pas, dans le plein jour de la Vérité catholique, de vivre à la façon des idolâtres. Combien, hélas ! nous ne disons pas d’enfants, mais d’adultes et d’hommes sur le déclin de l’âge, qui ne savent rien des principaux Mystères de la Foi et qui, entendant nommer le Christ, répondent : Qui est-Il…, pour que je croie en Lui ?
De là vient qu’ils ne se font pas un reproche de susciter et d’entretenir des haines, d’établir les contrats les plus injustes, de se livrer à des spéculations malhonnêtes, d’accaparer le bien d’autrui par une lourde usure, et autres méfaits pareils. En outre, ignorant la Loi du Christ qui ne condamne pas seulement les actes honteux, mais défend même d’y penser volontairement et de les désirer, il se peut bien que, pour une raison ou pour une autre, il se gardent des plaisirs coupables, mais ils accueilleront sans le moindre scrupule les pensées les plus impures, multipliant les iniquités au delà du nombre de leurs cheveux. Et ces choses se rencontrent (disons-le encore une fois) non pas seulement dans les campagnes ou chez le pauvre peuple, mais aussi, et peut-être plus fréquemment, chez des hommes d’une classe plus élevée, voire même chez ceux que la science gonfle, qui, forts, d’une vaine érudition, croient pouvoir se moquer de la Religion et blasphèment tout ce qu’ils ignorent.
Or, si l’on ne saurait attendre une moisson d’une terre qui n’aurait pas reçu de semence, comment espérer des générations ayant des bonnes moeurs, si elles n’ont pas été, à temps, instruites dans la Doctrine chrétienne ? De là nous devons conclure que, si la Foi s’est alanguie de nos jours au point d’être presque mourante chez beaucoup, c’est que le devoir de l’Instruction religieuse est accompli trop négligemment ou complètement omis. Car on aurait tort, pour se donner une semblant d’excuse, de dire que la Foi nous est accordée en don gratuit et conférée à chacun dans le saint Baptême. Sans doute, nous tous qui sommes baptisés en Jésus-Christ, nous avons en nous la Foi infuse : mais cette semence divine ne monte pas et ne pousse pas de fortes branches, si elle est abandonnée à elle-même et réduite à n’agir que par une sorte de vertu innée. Il existe aussi dans l’homme, dès qu’il vit, une intelligence : elle a pourtant besoin de la parole maternelle, qui l’éveille en quelque sorte et la met, comme on dit, en action. Il n’en arrive pas autrement au Chrétien, qui, en renaissant dans l’eau et le Saint-Esprit, porte désormais en lui la Foi : il lui faut néanmoins l’enseignement de l’Église, pour que cette Foi puisse s’alimenter, grandir et fructifier. C’est en ce sens que l’Apôtre disait : La Foi vient de la prédication entendue et la prédication se fait par la Parole du Christ (Rom., X, 17) ; et pour montrer la nécessité de l’enseignement, il ajoute : Comment entendront-ils sans un prédicateur (Ibid., 14) ?
Si les explications qui précèdent démontrent de quelle importance est l’Instruction religieuse du peuple, Nous devons veiller avec le plus grand soin à ce que l’enseignement de la Doctrine chrétienne, qui (selon l’expression de Notre prédécesseur Benoît XIV) est l’institution utile entre toutes pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, reste partout en vigueur ou, s’il est négligé quelque part, soit restauré.
Voulant donc, Vénérables Frères, satisfaire à ce très grave devoir du suprême Apostolat et assurer partout, pour une pratique si importante, une seule et même méthode, de Notre autorité suprême, Nous établissons et ordonnons expressément ce qui suit, pour être observé et exécuté dans tous les Diocèses :
1. Tous les Curés et, en général, tous ceux qui ont charge d’âmes, aux jours de Dimanches et de Fêtes de l’année sans en excepter aucun, pendant une heure entière, enseigneront, d’après un petit livre de Catéchisme, aux enfants des deux sexes, ce qu’ils doivent croire et pratiquer pour faire leur salut.
2. De plus, à des époques fixes de l’année, ils prépareront les garçons et les filles, par une instruction faite plusieurs jours de suite, à bien recevoir les sacrements de Pénitence et de Confirmation.
3. De même et avec un soin très spécial, tous les jours du Carême et, s’il en est besoin, à d’autres jours encore après les Fêtes de Pâques, ils disposeront les jeunes garçons et les jeunes filles, par les leçons et les exhortations convenables, à s’approcher saintement pour la première fois de la sainte Table.
4. Dans toute et chaque Paroisse sera établie canoniquement une Association dite de la Doctrine chrétienne. Par elle, les Curés, surtout là où le nombre des prêtres est trop petit, trouveront, pour les aider dans l’enseignement du Catéchisme, des Laïques qui se dévoueront à ce ministère par zèle pour la gloire de Dieu et aussi pour gagner les indulgences que les Pontifes romains ont largement dispensées.
5. Dans les villes plus considérables, dans celles surtout qui ont des Universités, des Lycées, des Collèges, on fondera des cours de Religion pour instruire dans les Vérités de la Foi et dans les pratiques de la Vie chrétienne les jeunes gens qui fréquentent des écoles publiques où la Religion ne figure pas au programme.
6. Mais parce que, de nos temps surtout, l’âge plus avancé n’a pas moins besoin d’enseignement religieux que l’enfance, tous les Curés et les autres Prêtres ayant charge d’âmes, sans préjudice de l’Homélie ordinaire sur l’Évangile qui doit se faire tous les jours fériés à la Messe Paroissiale, choisiront l’heure qui pourra attirer une assistance plus nombreuse, en dehors de celle qui est réservée à l’instruction des enfants, pour adresser aux Fidèles une catéchèse en un langage facile, approprié à leur intelligence. Dans ce but, ils se serviront du Catéchisme de Trente, de façon à traiter dans l’espace de quatre ou cinq ans toute la matière du Symbole, des Sacrements, du Décalogue, de la Prière et des Commandements de l’Église.
Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous établissons et ordonnons par Autorité apostolique. À vous maintenant de faire en sorte que, dans vos diocèses respectifs, cela soit mis à exécution sans retard et intégralement. Vous devrez donc veiller et pourvoir, en vertu de votre autorité, à ce que Nos prescriptions ne soient pas livrées à l’oubli ou, ce qui reviendrait au même, exécutées avec mollesse et nonchalance. Pour éviter ce malheur en pratique, il faudra que vous recommandiez sans cesse et avec instances aux Curés de ne pas improviser leurs leçons de Catéchisme, mais d’y apporter une préparation soignée, de ne point parler le langage de la sagesse humaine, mais de se conformer, dans la simplicité de cœur et dans la sincérité de Dieu (II Cor., I, 12), à l’exemple du Christ, qui, en révélant des choses cachées depuis la création du monde, disait pourtant toutes ces choses en paraboles à la foule et ne lui parlant qu’en paraboles (Matth., XIII, 35, 34). Ainsi faisaient les Apôtres, instruits par le Seigneur ; voici comme en parle saint Grégoire le Grand : Ils se préoccupèrent souverainement de prêcher aux peuples ignorants dans un langage clair et intelligible, non sublime et ardu (Moral., II, XVII, 26). Or, aujourd’hui, pour les choses de la Religion, la plupart des hommes doivent être rangés parmi les ignorants.
Nous ne voudrions pas cependant que, par amour de cette simplicité, on en vînt à croire qu’il n’est besoin, pour traiter ces matières, ni de travail ni de réflexion : elles en réclament, au contraire, plus que tout autre genre. Il est bien plus facile de trouver un orateur parlant avec abondance et éclat qu’un Catéchiste faisant une instruction de tout point louable. Donc, quelque facilité de pensée et de parole qu’on ait reçue de la nature, il faut tenir pour certain qu’on ne parlera jamais de la Doctrine chrétienne aux enfants ou au peuple avec un fruit réel pour l’âme, sans être préparé et armé par une longue méditation. Ils se trompent, ceux qui, comptant sur l’ignorance et la lenteur d’esprit du peuple, croient pouvoir se permettre quelque négligence. Bien au contraire, plus les auditeurs qu’on a sont incultes, plus il faut employer d’application et de soin pour mettre les Vérités les plus sublimes, si éloignées de l’intelligence vulgaire, à la portée des esprits simples ou grossiers, à qui elles sont aussi nécessaires qu’aux savants pour gagner le bonheur éternel.
Qu’il Nous soit permis, à la fin de cette Lettre, Vénérables Frères, de vous adresser la parole de Moïse : Si quelqu’un est du parti du Seigneur, qu’il se joigne à moi (Exod., XXXII, 26). Considérez, Nous vous en prions instamment, combien d’âmes se perdent par la seule ignorance des choses divines. Vous avez peut-être établi dans vos Diocèses, pour le bien de votre troupeau, nombre d’institutions utiles et dignes de tout éloge : veuillez néanmoins, de préférence à tout, avec toute l’énergie, tout le zèle, toute la persévérance que vous pourrez, employer vos soins et vos efforts à obtenir que la connaissance de la Doctrine chrétienne atteigne et pénètre profondément les âmes. Que chacun (ce sont les paroles de l’Apôtre Pierre que Nous répétons) mette au service des autres le don qu’il a reçu, comme de bons dispensateurs de la Grâce de Dieu sous toutes ses formes (I Petr., IV, 10).
Puissent votre sollicitude et vos pieuses industries, grâce à l’intercession de la Bienheureuse Vierge immaculée, être fécondées par la Bénédiction Apostolique, qu’en témoignage de Notre charité et comme gage des faveurs célestes, Nous vous accordons très affectueusement, ainsi qu’au Clergé et au peuple qui vous sont confiés.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 avril 1905, la deuxième année de Notre Pontificat.
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